LA BIBLIOTHÈQUE DES FUTURS

Roland Jean Fichet, 19/10/20

La Bibliothèque des Futurs est une fabrique de fictions avec vue sur le futur.

Le choc. C’est impossible, disions-nous, ça ne peut pas arriver. Et voilà qu’il surgit sous nos yeux cet impossible, dans nos corps, dans nos sociétés, dans notre monde. Il a lieu. Les monstres sont de sortie, minuscules et majuscules.
Intuition. Ça nous tombe dessus et ça va continuer de nous tomber dessus: des évènements, des soulèvements, des cataclysmes, des glissements idéologiques, des mutations inimaginables. Inimaginables? Pourtant il serait utile de les imaginer.
Réaction. Nommer et sculpter ce réel qui nous aveugle. Ça nous regarde. La fiction produit du réel. La littérature est un processus de fabrication du réel par la langue, par la fable.
Acte. Tissons un filet de fictions pour attraper ce qui nous arrive et tenter de le mettre en mots, de le lire, de le traduire.
« Les êtres humains peuvent prétendre à la vérité: c’est le titre d’un bref essai de la poète autrichienne Ingeborg Bachmann (…) Et c’est parce que nous disposons de cette force que nous pouvons prétendre aussi, selon Bachmann, à un langage qui dit ou tente de dire, sinon le monde, du moins ses servitudes et ses mensonges. Un langage qui permet de faire l’expérience d’une autre manière de parler, c’est à dire d’une autre façon de vivre.» Lucie Taïeb – Freshkills 
Dispositif. Un lieu nommé Bibliothèque des futurs où résonnent des fictions de romancières et romanciers, d’autrices et d’auteurs dramatiques, de poètes.
Les textes prennent place mois après mois dans la bibliothèque numérique. Ils y figurent sous forme de livres potentiels. On peut les lire dans leur intégralité.
Les écrivaines et les écrivains ouvrent des fenêtres sur le futur. Des fenêtres, des judas, des croisées, des soupiraux, des hublots, des trappes, des vasistas…
À ce jour, cinquante cinq écrivaines et écrivains entrent dans la danse, apportent leur brique, participent à l’élaboration de la Bibliothèque des Futurs.
Des assemblées interprétatives qui performent les fictions, les projettent dans la sphère publique, dans la dynamique des sociétés et des paysages, dans le champ de bataille politique, dans les lieux d’art et de culture, dans les cercles de pensée, dans les théâtres.
À chaque séance des fictions avec vue sur le futur sont lues par des actrices et des acteurs. Ces textes écoutés avec attention sont ensuite mis en résonance, interprétés, traduits.
Ces assemblées interprétatives convoquent l’énergie créatrice de personnes oeuvrant dans des disciplines, des sphères, des zones, des métiers de toutes nature : philosophes, militants, ethnologues, ouvriers, chercheurs, paysans, artistes, médecins, architectes, urbanistes…
La pratique de l’assemblée interprétative c’est le déchiffrement des fictions et la construction d’actes et de gestes; sa ligne de sorcière c’est de donner figures à l’absolument non représenté. Pas d’opposition entre fiction et pensée : de la dialectique. L’acte d’interpréter est une pratique poétique et une pratique politique.
Plusieurs lieux se proposent de constituer des assemblées interprétatives en 2022 et 2023: théâtres, bibliothèques, musées, conservatoires…
Des lectures publiques sont programmées dans les structures qui accueillent les assemblées interprétatives. 

Horizon. Fiction après fiction une carte des futurs se dessine et une architecture d’actions.
L’autre chantier: l’inscription physique de cette carte des futurs dans les sculptures-livres. 

LIGNES TREMBLANTES

Roland Jean Fichet,  Août 2021

1 – La Bibliothèque des futurs articule des fictions. Des écrivaines, des écrivains, des poètes y font résonner leurs langues et leurs intuitions, leurs visions de ce qui vient, leurs prédictions. 
Ces fictions prennent parfois leur élan à partir d’œuvres littéraires de la bibliothèque de l’humanité. 

2 – Des lecteurs-enquêteurs, des moissonneurs de signes subtils se promènent dans la Bibliothèque des futurs et interprètent les textes, les déploient, les font résonner. Ils guettent l’arrivée de chaque fiction heureux de se lancer dans une quête sensible de signes et de sens. À chaque nouvelle apparition textuelle ils s’écrient: décodons, décodons, n’arrêtons jamais de décoder. 

3 – L’apocalypse annoncée nous fascine-t-elle au point de nous tétaniser? Avec qui regarder en face ce qui vient sans subir l’effet-méduse?

4 – Allons-nous devenir des êtres féroces? Allons-nous jeter dans la dernière poubelle nos morales, nos religions, nos philosophies pour jouir de toutes nos forces contre le mur ultime, tout contre la mort globale, absolue, définitive de l’humain?

5 – La langue-poésie ne se contente pas de refléter l’esprit du temps, elle est engagée dans un corps à corps avec l’époque, elle tente de lui donner forme et âme, elle tente de nourrir et de déployer ses forces de vie.

6 – La langue danse avec la fiction. Enlacées l’une à l’autre, elles auront la puissance de multiplier les avenirs.

7 – La guerre des récits fait rage. Ceux qui se considèrent comme les propriétaires de la terre, de tout ce qui y pousse, de tout ce qui vit, tentent de mettre la main sur tous les récits: ils les achètent, les modèlent, les corrompent. 

8 – Tout ce qui est encore vivant pousse une immense plainte. 

9 – Il y a des trous dans la toile. S’infiltrer. Ruser. Fabriquer des mots-grenades pour les agrandir ces trous. 

10 – Ce qui vient n’est pas écrit.

11 – «La poésie c’est le réel absolu». Novalis

12 – Tout n’est pas foutu.

Vers un diagramme des futurs

Roland Jean Fichet, le 03/02/2022

L’Andréïde, Or comme ordure, Mourir Bio, Rudimenteurs, Infixés, F.A.M. Féminin Animal Machine, On passe à autre chose, Eden ( Les cloches brunes), Bounkering, Last Level, Vendredi soir…Et une douzaine d’autres oeuvres en cours d’écriture qui apparaitront sur ce site dans les mois qui viennent. Des nouvelles, des pièces de théâtre, des récits qui imaginent des possibles, qui tracent des lignes vers l’inconnu, qui tentent de donner forme et figure à des devenirs.

Voilà, circuler dans La Bibliothèque des futurs c’est rôder dans ces parages.

Il y a les écrivaines et écrivains et il y a à côté d’eux des lecteurs-interprètes. Ces moissonneurs de signes et de signaux, ces traducteurs, constituent l’Assemblée Interprétative. Cette assemblée se réunit tous les mois. Les lecteurs-interprètes tels des écureuils sautent d’une fiction à une autre, d’une phrase de celle-ci à un paragraphe de celui-là, d’un mot à un autre mot. Les branches s’ajoutent aux branches, les fictions aux fictions, l’arbre s’étend, se déploie, les écureuils multiplient les bonds, les détours, les acrobaties intertextuelles, les pirouettes poétiques, les cueillettes, les réserves de noisettes.

L’arbre, mois après mois, évoluera vers la forme d’un diagramme des futurs, un diagramme branchu, paradoxal, en extension. On peut le dire comme ça, en énoncer le projet. Quand même les trameurs de futurs vont se coltiner des agencements complexes. Comment disposer dans un diagramme des blocs de signes/signaux, des blocs de sens, des blocs d’images, des blocs de résidus, des épaves conceptuelles? Le chantier est ouvert.

Écrire est un acte, lire est un acte, interpréter est un acte. Un texte peut illuminer une vie, une phrase peut sculpter un destin, un concept peut métamorphoser une ville. Qui n’a pas senti cela? Qui en doute? Le geste archaïque du théâtre est familier à plusieurs d’entre nous: décrypter un texte et le mettre en mouvement. La parole se fait acte et crée. On dit aujourd’hui qu’elle performe.

Et il y a la joie de chercher, la joie d’enquêter: qu’est-ce qui nous arrive? Vers quoi on va? Les visions, fulgurances, intuitions, paysages verbaux des poètes convoqueront, convoquent déjà des syntaxes, des structures, des typographies inédites, affolantes parfois. Les lecteurs-interprètes sur leur versant de la montagne peaufinent leurs outils, leur modus operandi, passent de la mise en tension d’un paquet de fictions à des micro-lectures, à des travaux d’entomologistes ou de chasseurs de papillons rares. Certains commentaires sortent de leur case, prennent leur autonomie, affirment leur propre force prédictive.

Image-méthode (pour l’exemple): saturé de figures crochues le diagramme d’A se cimente quand celui de G éclate et s’archipellise. Et si on les superposait.

Un philosophe grec bien connu préconise d’utiliser le mythe pour éclairer la cité. Alors, ajoutons le mot mythe à notre vocabulaire. Ça se fabrique des micro-mythes? Comment fait-on? Telle fiction n’héberge-t-elle pas à son insu un mythe potentiel?

Et en guise de provisoire clôture le théorème de Mallarmé: Toute chose en ce monde est destinée à finir en livre. Ce soir, j’ai envie de l’inverser ce beau théorème: Toute chose en ce monde est destinée à naitre d’abord dans un livre.

un lieu d’interprétation continue

Roland Jean Fichet, le 27/10/2022

Le site de la BDF est pour moi une sorte de revue, une revue d’un nouveau genre, les textes qui y paraissent ne sont pas mis à la poubelle au fur et à mesure que s’inscrivent de nouvelles publications dans l’espace de la revue, au contraire les textes déjà édités sont relancés, revitalisés, relus à la lumière des nouveaux écrits. La BDF est un lieu d’interprétation continue, un chantier durable qui produit des fictions, des analyses, des propositions d’action. Ça écrit, ça lit, ça relie, ça agit. Et se constitue une communauté ouverte d’écrivaines et d’écrivains. 

Elle ne sera sans doute jamais réunie dans sa totalité cette communauté mais ses membres se lisent les uns les autres, sont attentifs aux parcours de leurs voisines et voisins de BDF. On va découvrir en marchant jusqu’où va cette interaction, jusqu’où elle peut aller.