• 1.

    Ouverture
  • 2.

    Points de vue
  • Katell Floc’h - Je préfère ne pas
  • Agnès Jacquesson - L'odeur de la vie
  • Anne Le Baut - Toxique
  • Monique Lucas - Au bord
  • 3.

    Biographie et actualité

ouverture

De la même eau

Elle est claire, je te l’accorde. Et il y a une douceur. C’est un rivage. Les vaguelettes qui viennent mourir. Repartent. La douceur d’une baie. Pour dire ce bleu on dit toujours turquoise. Oui, très claire. Pas une algue. Pas une roche. D’où je viens ce n’est pas comme ça. Je ne sais pas si le sable est doux. J’évite le contact avec le sable. Non. Je n’ai pas chaud.

Je veux bien croire qu’elle est bonne.

Je ne souhaite pas me dévêtir. Rester debout ne me dérange pas. Je ne marche jamais pieds nus. Sinon chez  moi. Je veux bien te croire, elle est excellente. Juste fraîche quand on entre. Cette morsure légère, aux chevilles, puis aux cuisses, à la taille, sur le torse. A chaque pas cette morsure légère, comme si la peau séchée par le soleil, par le sable, devait se réhabituer: à l’humide. A la fraîcheur. Mais on entre facile. Une brasse, deux, la tête. Divinement fraîche. Très peu de sel. Ou pas de sel du tout ? On ne sent pas le sel. Ou le sel est doux, lui aussi. Les yeux ouverts sous l’eau, facile. Rien ne pique. Tout est fluide et souple et bientôt c’est ton élément naturel. Tu n’as jamais été rien d’autre qu’un corps plongé dans l’eau.

 

Points de vue

Katell Floc’h

Je préfère ne pas

Du monologue annoncé surgissent des voix dissonantes : si celle de la narratrice domine, répond dans un dialogue qui sous-tend l’ensemble du texte, une voix masculine, elle-même écho d’une polyphonie plus vaste, engagée dans un affrontement avec « celle qui préfère ne pas ». « I would prefer not to ». Il me semble que se tient, dans le personnage principal de ce récit, une héritière du Bartleby de Melville, orgueilleusement dressée contre le monde nouveau dont elle ne veut pas, refusant l’aliénation programmée à laquelle tou.te.s les autres semblent avoir succombé.

« Nous pleurons secrètement ce que nous avons perdu, nous aussi, nous nous en souvenons. Mais nous n’avons pas renoncé à vivre. » p.5

C’est ainsi qu’ils se compromettront pour préserver leur aptitude au bonheur. C’est ainsi qu’ils s’adapteront, envers et contre tout, pour rester vivants, et jouir des biens matériels de ce monde, même si ceux-ci ne sont plus que les objets trompeurs et dégradés d’un univers factice.
La narratrice, qui se tient si farouchement hors d’atteinte de ceux qui se sont laissés entraîner vers cette nouvelle formule du monde « vivant », elle aussi, se souvient. Et ce souvenir, par son intensité et sa réalité disparue, la crucifie.

« Tu prends pour idiotie notre courage. » p.5

De quel côté se situe le courage ? La réponse reste certainement ouverte. Bien que le récit nous porte ici à entendre surtout le cri d’insurrection que pousse cette femme entrée en résistance. Car si elle se tient résolument sur le bord, raide et immobile, au dedans d’elle s’agite un tumulte sans fin qui atteste de son état de vigilance aiguë.

Noli me tangere

La tentation est grande souvent de se tenir sur le bord, à l’écart, de refuser de participer.
Mais refuser de s’engager dans le monde à travers ses mutations, n’est-ce pas se condamner à l’exil intérieur, extérieur, et à une solitude irrémédiable ? C’est pourquoi nous composons, négocions, nous adaptons, nous compromettons, abandonnons celui ou celle que nous étions, sommes dans le deuil d’un monde révolu et aimé, pleurons secrètement cette perte, tout en participant activement aux mues en cours, et en les chérissant, paradoxalement, en apprenant à aimer les nouvelles façons d’être et de vivre qui forment le tissu de la société à laquelle nous appartenons, car nous avons tellement besoin de faire corps.

Mais de quel corps s’agit-il ?

Si l’on prend appui sur le texte :
– d’un côté : le corps déjà mort de celles et ceux qui adorent les eaux mortes d’une fausse mer inodore = un corps collectif morbide et mortifère, un grand corps mort qui s’ignore.
– de l’autre : le corps solitaire et brut, intensément vivant et vibrant de colère rentrée de cette femme insoumise, qui veut conserver entier le souvenir des morsures que la seule mer, la seule matrice qu’elle connaisse, là d’où elle vient, lui procurait, jadis. Sachant qu’au devant d’elle, si elle consent au toucher d’autrui, si elle consent au contact avec cette eau frelatée, c’est pour elle une mort sûre. Car elle sait « reconnaître la mort quand [elle] la voit. »

Capituler ou écouter son instinct

Ce récit nous invite à interroger nos prises de position, nos lâchetés plus ou moins conscientes, nos résignations qui nous conduisent à l’oubli de nos origines, jusqu’à l’osmose avec le monde nouveau :

« Tout est fluide et souple et bientôt c’est ton élément naturel. Tu n’as jamais été rien d’autre qu’un corps plongé dans l’eau. » p.2

Mais la narratrice semble avoir tranché : jusqu’au bout elle nous renvoie son indéfectible refus. Elle ne plongera pas dans les eaux noires de l’oubli.
En effet, l’argument final, qui repose sur la privation du sens de l’odorat, résonne comme une alerte.
Dressée comme une figure de proue, la voix de la narratrice exprime le refus de la dépossession de soi, qui passe par la rémanence d’une image associée au bonheur, le souvenir d’une nage en eaux salines vers une embarcation dont la coque rouge stimule l’ardeur de vivre. Le souvenir d’une eau qui porte une mémoire, une eau féconde, qui n’a rien à voir avec cette eau dévitalisée, délétère et sournoise, qui lénifie les corps et les esprits, ainsi que le raconte cette fable onirique et poignante.
Ainsi il est, à la fin, tout simplement question d’instinct de survie.
A jouer les Cassandre, nul n’a voulu écouter cette femme qui se refuse à être « de la même eau » que les autres. Mais nous, lecteurs, resterons-nous insensibles à cette voix qui nous enjoint à ne pas égarer nos sens, ni notre sens critique tout au long des métamorphoses qui nous attendent ? Jusqu’où sommes nous prêts à aller pour être les résidents résilients d’un monde qui peu à peu cède sur le vivant, et se nourrit d’artifice ?

Ce que cette lecture peut m’inspirer de vigilance pour les territoires d’ici et d’ailleurs :

– Sus aux algues vertes et aux microplastiques !
– Moins de goût pour le confort qui nous endort.
– Ne pas devenir des êtres hors-sol.
– Savoir rester fidèles à ce qui nous lie au vivant, de toutes les manières que ce soit.
– Cultiver notre mémoire des sensations.

Et maintenant qu’on a dit ça, on fait quoi ?

– Pour le volet « algues vertes », qui n’a pas la sensation qu’essayer quelque chose, c’est lutter contre Goliath ? Il existe des exemples:
On ne peut que louer l’infatigable combat que mène Inès Léraud depuis plusieurs années sur le territoire breton, le courage qui l’anime malgré les vents contraires, et se dire qu’on ne loupera pas la prochaine sortie sur les écrans de l’adaptation de la fameuse bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, pour laquelle la région a finalement alloué une subvention conséquente.
Et de fil en aiguille, puisqu’Inès Léraud et Morgan Large, journaliste pour Radio Kreiz Breizh, ont créé assez récemment l’ONG Splann ! 1, média d’investigation oeuvrant en Centre Bretagne, inviter chacun.e à aller voir, voire adhérer et soutenir.
Et puis, si l’on pouvait attribuer une identité juridique à la baie de Saint-Brieuc, comme cela a pu se mettre en place dans différents pays ( dernièrement à la Mar Menor, une lagune d’eau salée près de Murcie, en Espagne 2, la donne serait sans doute différente et l’on pourrait espérer que les choses bougent un peu du côté de l’industrie agro-alimentaire.

Quoi d’autre ?
– Mettre les mains dans la terre, dans l’eau des rivières, dans la mer, sur l’écorce des arbres, dans la fourrure des bêtes, … pour se sentir vivant et se souvenir qu’on appartient.
– Et encore et toujours, pour ceux qui ont cette chance et possèdent cette ressource, inlassablement, cultiver son jardin.


1 Splann ! = au clair ! ( en breton )

2 Les droits de la nature, une révolution juridique – Claire Legros – Le Monde 22/10/2022

 

Agnès Jacquesson

L’odeur de la vie

En préambule :
Je suis restée un certain temps au bord du texte. La situation de communication ne me paraissait pas claire ( je = elle, tu = il ou elle, qui parle à qui, qui répond ou pas), le rythme vaguement andante, la saveur douceâtre. Je ne souhaitais pas m’y plonger. Rester dehors ne me dérangeait pas. Et finalement j’ai mis un pied dans le titre, qui évoque à la fois une analogie et une connivence. Et j’y suis retournée. Si écrire est, avec Edmond Jabès, faire feu de toute ressemblance1, l’écriture du texte, avec ses trous, ses ellipses, son jeu sur la présence/absence, avait quelque chose à nous dire de son contenu. Une histoire de mer synthétique et de résistance. Entre la mer et son imitation, il y a l’écart de la vie à la mort ; entre le corps couché du nageur et le corps dressé de la non-nageuse, il y a l’espace d’une pensée.
Phrases retenues :

« Les yeux ouverts sous l’eau, facile. Rien ne pique. Tout est fluide et souple et bientôt c’est ton élément naturel. Tu n’as jamais été rien d’autre qu’un corps plongé dans l’eau. » p.2
« … ce lieu qui n’est pas un lac ni non plus une piscine a tué leur envie ( … ) ils n’ont d’autre désir que l’apaisement ou le repos et ce n’est pas même un désir, seulement un besoin. » p.4
« Il y avait une sorte de bonheur dans l’équilibre de ses proportions, dans sa manière de se balancer doucement sur l’eau, dans cette petite anse de l’île, une sorte de bonheur qui ressemblait précisément à celui d’être ici, dans cette petite anse de l’île. Je me suis allongée à la surface je le voyais toujours, la croix du mât haute dans le ciel, comme pour l’imiter, moi aussi, j’ai mis les bras en croix. » p.5
« Ce qui me retient c’est l’absence d’odeur. » p.6

Les faits et leur mise en tension : le titre évoque une analogie, mais elle ne fonctionne pas ; sous les yeux de la narratrice-protagoniste ( ce n’est pas toujours elle qui parle, mais elle est le point d’écoute, puisque les paroles de son compagnon nous parviennent à travers son oreille à elle ) : un lieu qui n’est ni un lac ni une piscine, une eau plastique, une eau morte, un liquide amniotique reconstitué ( qui décape un squelette au lieu de l’envelopper de chair – et d’amour ? ), une mer artificielle, une eau filtrée, monde pacotille, eau douce avec un système de vaguelettes, eau très pure issue d’aucune rivière pour un baptême mortifère sans espoir de salut, microbilles synthétiques au lieu de sable ; un contrat de surveillance tacite qui fait écho aux systèmes de surveillance des jardins d’Électropolis de Lancelot Hamelin 2, mais je ne vais pas prendre cet axe-là ; eau du Léthé, eau létale, rien n’est nommé, tout est indéfini, sauf que l’image persistante d’un petit bateau rouge inspire à la protagoniste une résistance. Non pas intellectuelle, mais instinctive, sensitive, sensible. Une résistance bretonne ? Tension entre ce paysage artificiel et celui dont la protagoniste est originaire, et qui ressemble à la Bretagne ( non nommée… nom oublié ? ), qui est comme le négatif de l’autre et qui est absent – un souvenir ? une image fantôme ? ; sous cette eau qui dort de sa bonne mort, une angoisse…
L’analyse : la mort est déjà là, sous nos yeux, mais nous ne sommes pas obligés de nous y abandonner comme le nageur du texte, de nous vautrer avec délectation dans le pire. On peut tout avoir, tout redoubler, mais ce ne sont que des facs similés, des contrefaçons, des fantômes de choses ou d’éléments en train de disparaître sous nos yeux, un monde rempli et bruissant ( bruit des vagues en creux contre les vaguelettes silencieuses qui viennent mourir au bord ) contre un monde vide ( on a déjà évoqué ça avec Vendredi soir d’Alexis Fichet ) ; les enfants font semblant d’être morts, nous on fait semblant de ne pas l’être, on est foutus, à moins que…
Les actions que cela peut déclencher et les effets sur la cité :

Si on ne veut pas vivre ( morts ) dans un monde totalement insipide, il faut agir, sauver la baie, ses odeurs, ses couleurs, ses petits ports/pontons/mouillages, lui donner une identité juridique pour que les hommes ne s’en détournent pas et que l’expression Petit Navire ne soit pas plus tard une marque de produit alimentaire dont on aurait oublié l’origine.
Restaurer – dès l’école – l’importance du sentir, les odeurs naturelles ; ma grand-mère Amélie – peut-être sous l’effet de sa bipolarité version hight – s’extasiait de celle du purin avec un enthousiasme dont j’ai gardé le souvenir ému, arrêter de vivre dans un monde aseptisé et de s’empoisonner à grand renfort d’Harpic WC odeur de pin ou rosée du matin, accepter que le monde a une empreinte olfactive ; ça ne ferait pas de mal à certains de regarder leur merde en face. Perte d’odorat covid comme un avertissement. L’alchimie contre la chimie. Réapprendre avec Baudelaire à respirer, comme une fleur flétrie, le doux relent de mon amour défunt3…


1  Edmond Jabès, – Le Livre des Ressemblances (1976) – Gallimard L’Imaginaire, 1991, p. 34.

2 Dans les jardins d’Électropolis, Lancelot Hamelin, p.12

3 Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le Léthé »

 

Anne Le Baut

Toxique

« tu diffusais autour de toi la certitude toxique que ce monde n’est pas bon. Tu veux nous inoculer cette certitude, nous en convaincre » p.5

Toxique : le mot apparaît au milieu de la conversation, l’air de rien, déjà lessivé par les usages de la communication ordinaire. Pas indispensable à la compréhension du message, il l’est à la rhétorique du locuteur qui ne manque pas, en ces temps de pandémie, de le redoubler par le verbe « inoculer ». Il fait partie de ces mots-cadres qui dessinent les limites acceptables du discours. Et son discours à elle ne l’est pas : « Je hais les mers artificielles  », dit-elle, songeant aux produits chimiques dont les eaux filtrées sont chargées. Et sa situation devient intenable face à la machine langagière de ses interlocuteurs ( 2 occurrences de « tu croyais savoir », 3 occurrences de « nous savons ») qui opère un retournement des postures : « tu prends pour idiotie notre courage ».
Elle sera donc déclarée toxique, c’est-à-dire décourageante pour ses collègues de bureau parce que « nous n’avons pas renoncé à vivre ». Le locuteur ne précise pas vivre comment. Une éco – beaucoup trop – anxieuse comme Elaine dans Eden de Waddah Saab, « ringardisée d’aimer le zéro déchet et de préférer les rencontres physiques aux échanges virtuels » , et qu’une collègue, professeure en relations publiques, tente de ramener à un mode d’existence plus consensuel  : « Relax, Elaine il te manque juste la légèreté, apprends la légèreté, la cool attitude. » Même façon de rester sur son quant à soi, les yeux bien ouverts.
Pour un peu, la vigie serait paranoïaque, voire complotiste, encore un mot-flash dans le brouillard linguistique de notre époque, l’arme fatale de ceux qui se méfient des méfiants – à tort ou à raison, c’est selon, les mots tanguent pas mal quand la fin approche. Pour ma part, j’imagine volontiers son regard compréhensif sur ces jeunes gens barbouilleurs de tableaux prestigieux, des éco – très- responsables qu’on a vite fait de nommer éco-délinquants, ou pire. Les mots sont réversibles et transformables, pas toujours pour notre bonheur.

Des propositions concrètes : répondre au besoin d’attention

Faire un arrêt sur discours : il faudrait de temps en temps une suspension du son à la radio, à la télé, en réunion, à l’Assemblée, en cours, entre convives, au travail, qui laisserait tout le monde dans un état de stupeur lexicale : les mots qu’on a fini par adopter à coup d’euphémisation, ceux qu’on devrait tourner sept fois dans la bouche, ceux qu’on n’ose plus prononcer, ceux qu’on accompagne trop souvent du geste des guillemets. Et on redémarrerait le son. Les gens seraient un peu perdus. Mais qu’est-ce que je dis maintenant ? Ils réclameraient des dictionnaires et des poèmes, davantage de temps pour ne pas parler. Le monde deviendrait plus lent, plus silencieux, on finirait par s’entendre.

Explorer et nommer l’eau : d’où vient l’eau du bassin-versant ? Est-ce que je localise les ruisseaux, les rivières, les bassins naturels, les retenues d’eau artificielles, les zones humides, les nappes phréatiques ? Quel est leur nom ? Puis-je remonter jusqu’à la source ? Comment se présente une source aujourd’hui ? A-t-elle sa divinité protectrice ? Où se fait le partage des eaux ? Et l’eau de pluie ? Où se trouvent les bassins de rétention, les noues, les jardins de pluie ? Quel est le circuit de l’eau jusqu’au robinet ? Quels territoires traverse-t-elle ? Les habitants de ces territoires entretiennent-ils un lien direct avec l’eau ? Ont-ils des histoires d’eau à raconter ? Comment est traitée l’eau en amont, an aval ? Où se déverse finalement l’eau ? Est-ce qu’elle reprend du service ?

Monique Lucas

Au bord

Préambule
Ce texte m’a plongé dans une grande tristesse. Je suppose que l’autrice est tout à fait consciente du trouble que contient son texte, si elle ne le sait pas c’est encore plus fort. Nous avons eu des échanges assez passionnels à propos de ce texte, pour moi «  au bord »1 est vraiment le condensé de ma pensée. Elle voit, elle sent, elle vibre, mais surtout « elle ne veut pas se mouiller » , dans tous les sens du terme, figuré et concret. J’espérais, à un moment, qu’apparaisse, ne serait-ce que furtivement, ce qui allait surgir d’elle, mais je n’ai senti que l’immense tristesse face à la perte de son monde sensible, et je ne vois d’autre issue que la mort.

Phrases retenues/commentaires

« Tout peut surgir d’un paysage aussi vide » p.2

Le paysage n’habite plus le monde, il ne contient plus, ni en laideur, ni en beauté. Elle est dans un grand vide. On a presque l’impression qu’elle traverse des hologrammes. Elle ne fait rien, elle a fait : se baigner, travailler, mais maintenant elle ne fait rien. Est-elle vide comme le paysage ?
Que pourrait il surgir d’elle puisqu’elle est comme le paysage ? Faut-il passer par un grand vide avant de pouvoir se réinventer ?

« … c’est cette claire insouciance qui m’a attiré vers toi, cette forme gracieuse d’une idiotie qui te rend parfaitement doué pour l’existence et pour la joie. » p.4
«  Nous sommes sensibles comme toi, informés. Tu prends pour idiotie notre courage ». p.5

Idiotie accolée à existence et joie ! Terrible ! C’est pour cette raison que je ne vois pas d’autre alternative que la disparition. Est-ce orgueilleux de la part du personnage, ou désespéré ? Le style est d’une grande violence : « cette forme gracieuse d’une idiotie » . Elle se drape exclusivement et seule, dans la nostalgie du passé, porte un jugement sans appel sur ses contemporains, en particulier sur l’homme qui, lui, est prêt à donner, y compris de l’amour. Elle dit « je » il dit «  nous ». Bien-sûr, je ne défends pas le monde évoqué dans ce texte, moi qui suis une renifleuse. La première chose qui m’atteint dans un espace, c’est d’abord son odeur, mais je me pose la question pour demain : jusqu’où puis-je m’adapter ? Jusqu’où pouvons-nous nous adapter ? Quel est le point de bascule du tolérable ?



1 «…je reste sur le bord, ce n’est pas seulement une métaphore, c’est une décision prise de longue date, à laquelle je me tiens.» p.3
«…je reste sur le bord, plantée, verticale…» p. 3

Biographie et actualités

© Michel Durigneux

Lucie Taïeb, née en 1977 à Paris, est écrivaine, traductrice et enseignante-chercheuse. Elle publie depuis une dizaine d’années des ouvrages appartenant à différents genres (poésie, essai, roman). Son deuxième roman, Les échappées , paru aux éditions de l’Ogre, s’est vu décerner le prix Wepler en 2019. Après une recherche consacrée aux déchets ayant donné lieu à la publication du récit documentaire Freshkills ( éditions La Contre allée 2020 ), elle s’intéresse actuellement aux pollutions non directement perceptibles par les sens, et notamment aux micro-plastiques.

Actualité

Lucie Taïeb fait paraître en 2022 un roman, intitulé Capitaine Vertu, aux éditions de l’Ogre, ainsi qu’un livre de poésie, intitulé L’art de panser les plaies, aux éditions Faï Fioc.