récits B de Frédéric Ciriez

Publié en Mars 2021, Éditions Verticales

La commande :

Trois nouvelles ont été écrites pour l’opération ‘Déchets Fictions’ en novembre 2018. 
Or comme ordure de Frédéric Ciriez
Rudimenteurs d’Alexis Fichet
Mourrir bio d’Alexandre Koutchevsky

Ce qu’en dit l’auteur : 

Qu’est-ce qui chez toi se connecte avec le sujet des déchets ? Est-ce que ce genre de thème traversait déjà tes textes ? 

Directement ou indirectement, tous mes livres s’emparent de la question du déchet. Mais je ne l’ai pas compris tout de suite ! Des Néons sous la mer (2008), raconte ainsi l’histoire d’un sous-marin de la Marine nationale mis au rebus et exploité par un groupe autogéré de prostituées épaulées par le vestiaire, un jeune précaire de la banlieue parisienne expulsé du monde social classique… Mélo (2013) met frontalement en scène un suicidé, un éboueur esthète noir et une soldate du capitalisme : les trois personnages sont chacun des figures et des opérateurs du déchet… Mélo est d’ailleurs le premier road-movie parisien en camion poubelle, j’en suis très fier. Je suis capable de tout (2016) propose quant à lui une réflexion sur les livres de développement personnel entendus comme déchéance du Sens et de la lecture, la plupart du temps aliénée à des clichés et à la domination d’un maître à penser… BettieBook (2018) interroge les mutations de la critique littéraire et le déclassement symbolique et social des critiques classiques, contestés par les pionnières du web… Là c’est le livre et la pensée esthétique qui trinquent… Donc oui, je suis un écrivain du déchet, du déclassement, de la dégradation voire de la déchéance… mais sur un mode tout à fait baudelairien : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » (Ébauche d’un épilogue pour la deuxième édition des Fleurs du Mal, 1861) – ce qui est en soi une définition de la littérature.

Qu’est-ce que les journées sur le terrain ont apporté ? 

J’ai un lien de familiarité avec les déchets pour une raison très simple : étudiant, j’ai été éboueur deux étés de suite à Paimpol, donc, une fosse, je connais… mais pas tant que ça, car c’était il y a 25 ans et les choses ont beaucoup changé. J’ai été frappé par la sophistication des installations et bluffé par la force et l’intelligence dans la compréhension des déchets de nos interlocuteurs, aussi bien les praticiens de terrain que les membres d’Open Bay. J’ai eu le sentiment d’une grande cohérence dans l’ensemble du dispositif industriel d’un recyclage qui à terme s’appuiera sur des ressources numériques pour fonctionner de manière optimale. Le traitement des rebus est un enjeu économique… mais aussi civique et politique bien sûr. Avec ce paradoxe positif et cet espoir que Saint-Brieuc devienne à sa manière une capitale française du déchet, où se mêle l’action industrielle, la pensée politique et l’intelligence économique. Ce serait formidable, non ? Presque un projet civilisationnel. Je blague à peine.

Quel a été ton projet d’écriture ? 

Je tente, à travers une longue nouvelle qui relèverait du genre noir, d’approcher la question du déchet dans toutes ses dimensions : symboliques, métaphoriques et bien sûr matériels : qu’il s’agisse de la question du sens, de celle de l’altération et de l’obsolescence, humaine ou objectale, qu’il s’agisse tout simplement de ce que l’on jette pour telle ou telle raison, des pots de yaourt usagés aux poupées sans cheveux. Je ne vous révélerai pas l’identité professionnelle de mon narrateur, mais nous le suivrons dans un Saint-Brieuc inédit, exclusivement saisi par le prisme du déchet… et de la beauté je l’espère.

Entretien avec Frédéric Ciriez : Littérature et déchets, printemps 2018

Ce qu’en dit l’éditeur : 

Paimpol, Paris, Alger … La dérive de deux anciens amis se retrouvant sur une voie ferrée; l’arrivée de supportrices au charme explosif décidées à illuminer le Stade de France; la bande-annonce d’un film fantastique sur fond de black metal algérois ; un apéritif au champagne sur le toit de la porte Saint-Denis ; le surgissement théâtral de Frantz Fanon; l’éternel retour d’une auto-stoppeuse dans un virage, la nuit, jusqu’aux appels téléphoniques intempestifs parasitant l’auteur en train de concevoir ce recueil résolument beau et bizarre.

Treize nouvelles à découvrir comme autant de récits B où Frédéric Ciriez multiplie les pistes de son imaginaire : la fantaisie, l’humour et le mélo, aux accents noirs et parfois érotiques. Treize ans après Des néons sous la mer, il invente une forme saisissante et circulaire qui nous plonge dans les confins oniriques de la réalité.

…Mes yeux scrutent l’horizon désert quand je devine une, puis deux, puis trois, puis tout un champ d’éoliennes offshore. Simonet me sourit comme un bienheureux. Fred essuie sa bouche fétide avec son ciré de mer. Nous entrons dans l’enceinte maritime, salués par la révolution des pâles gigantesques. Nous glissons, minuscules, au coeur d’une succession de cercles concentriques à la géométrie parfaite. Nous glissons, les oreilles sillonnées par le sifflement du vent et des machines. Et l’édifice apparaît, blanc, évasé, inachevé, tendu vers le ciel comme une Babel maritime . Sur sa façade scintille un hologramme de lettres écarlates (… ) Je dis à Simonet: «qu’est-ce?» Il répond: « La Bibliothèque des futurs.» Je dis: « J’adore lire! Elle ouvre quand ses portes?» Il dit: « Elle est déjà ouverte.» Nous nous approchons de la masse verticale autour de laquelle tournoient de grands oiseaux de mer. Le hors-bord réduit sa vitesse. Nous allons accoster. Mais nous n’accostons pas. Nous allons nous fracasser. Un quai flottant à cinq mètres. Je ferme les yeux…Les rouvrent. Nous traversons la chimère, acclamés par les centaines de pâles tournant sur elles-mêmes. Simonet me tape sur le dos. Je vomis. J’entends: « La construction va bientôt commencer. Ce que vous avez vu ne doit pas être pris comme un simple hologramme projeté grâce au mouvement perpétuel des éoliennes. C’est une maquette réaliste, la vision exacte de ce que sera la bibliothèque dans un peu moins de trois ans. Elle accueillera toutes les propositions intellectuelles et fictionnelles pour envisager les futurs et aider les hommes à mieux vivre. Une rotation en vedette toutes les demi-heures permettra au plus grand nombre d’y accéder…

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