Un prototype : Les déchets fictions 

Si quelque chose condense l’angoisse de ce temps c’est bien le déchet. Il est la trace la plus visible de notre désarroi devant ce qui nous arrive. Car s’il est une caractéristique du siècle commençant, c’est bien ce jetable qu’on ne sait plus où ni comment jeter et encore moins penser.

La Bibliothèque Des Futurs a été fondée en novembre 2018 à Saint-Brieuc.
Du 16 au 18 novembre 2018, au Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc, le Théâtre de Folle Pensée à réuni plusieurs partenaires: des associations, des entreprises, des structures qui œuvrent dans le champ de la création artistique, de l’économie circulaire, de l’économie sociale et solidaire, d’une nouvelle conscience citoyenne.
Tous partagent une intuition : les puissances de la langue, de la fiction et du mythe sont grandes. Elles peuvent rendre visible un réel invisible. Elles peuvent libérer des possibles. Elles peuvent donner forme à des mondes.
Deux ans auparavant, le Théâtre de Folle Pensée est entré en dialogue avec des entreprises et des structures qui prennent à bras le corps la question des déchets. Il leur a proposé un protocole d’écriture de récits/fictions ancrés dans le réel et qui assument un regard sur le futur et une audace prédictive : les audits poétiques.

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Photos du séminaire des 16 au 18 novembre 2018, Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc.

Un outil : L’audit poétique

Genèse du concept d’audit poétique.
En 2015 et 2016, je me suis entretenu avec plusieurs responsables d’entreprises et d’organismes de Saint-Brieuc. Alexandre Solacolu quittait alors le pilotage de Photo Reporter et fondait Open Bay qui engendrera Hoali quelques mois plus tard. Alexandre m’a incité à présenter ma vision du rôle de la poésie et de l’art dramatique dans la cité à plusieurs chefs d’entreprise. La proposition m’a intrigué et conduit à déplacer mon regard. Nous avons ouvert un dialogue discontinu mais régulier avec des entrepreneurs dans différents domaines : le bâtiment, la santé, la transformation des matériaux, la récupération, les déchets, le social, la fabrication de pinceaux… Plusieurs chefs d’entreprise sont venus voir ma pièce « Qu’elle ne meure » au Théâtre National de Bretagne et « Constellations » à l’Institut Pasteur au cœur de Rennes. Éclaté dans quinze pièces de ce lieu en friche, ce spectacle était une petite entreprise de création de textes et de performances. J’y participais en tant qu’auteur. Les actrices et acteurs de « Constellations » avaient tous été élèves dans mes ateliers d’écriture et de dramaturgie à l’école du TNB.

Une question revenait dans nos conversations : par quels moyens peut-on aujourd’hui se faire une idée du futur ? Cette question était souvent précédée d’un constat : nous sommes bousculés par des évolutions visibles et d’autres qui le sont moins, elles nous surprennent, nous ne les anticipons pas, nous devinons des lignes de faille mais nous sommes comme médusés, démunis devant ce qui vient. Si un glissement sensible de nos repères survenait serions-nous capables d’y faire face ? Avons-nous les bons outils pour cela ?

J’exprimais parfois une intuition : travaillons la langue, relions intelligence et émotion dans des récits visionnaires, partout où la parole est bloquée appelons la fiction à la rescousse… Je sentais que cette piste restait obscure pour mes interlocuteurs. En 2017, lors d’un échange avec deux agents dynamiques d’un cabinet d’audit, j’ai formulé le concept d’audit poétique. Immédiatement j’ai senti que ce concept éclairait le propos et rendait mes formules plus concrètes. Ensuite, j’ai articulé ce concept avec un processus d’écriture et un cadre entrepreneurial.

Le qualificatif poétique a surgi spontanément et s’est imposé parce que plus simple et plus générique que d’autres. J’aurais pu choisir audit littéraire puisqu’il s’agit d’un concept qui englobe toutes les formes littéraires, en particulier le récit, la nouvelle et la forme théâtrale que j’ai beaucoup pratiquée et qui m’a fourni nombre de modus operandi. Audit poétique a pour lui un atout de taille : sa racine grecque signifie création, action. La poésie est étymologiquement liée au faire, à l’acte de faire. C’est du coup, je trouve, une belle association de mots « audit poétique ».

Dans ce texte je tente de dessiner la figure de l’audit poétique, de relier quelques points.

Cette démarche d’écriture de fictions et d’interprétation de ces fictions a été mise en œuvre en 2018. Trois écrivains se sont investis dans ce processus et un groupe de trente personnes qu’on pourrait appeler les interprètes ou les traducteurs.

Kerval Centre Armor, une usine de traitement des déchets, Open Bay, start-up centrée sur l’écologie, et le Théâtre de Folle Pensée ont été les opérateurs et les lieux de réalisation de ce dispositif d’écriture et de création.

Les trois jours d’interprétation des fictions se sont déroulés dans la salle du Musée de Saint-Brieuc dédiée aux œuvres contemporaines. Ce travail d’interprétation était pensé comme un acte performatif, un traitement de la fiction saisie comme productrice de réalité.