Jérôme Éliès

Photo ©Raphaël Lorand

3/4 mots
Amour – Géobiologie – Emergence.

3 œuvres
dialogues avec l’ange de Gitta Mallasz (scribe). La compréhension de ces entretiens n’a de limite que notre propre intelligence, celle de l’ouverture du cœur.
At Swim-Two-Birds de Flann O’Brien. C’est beau de se perdre dans ce roman aux extravagances plus folles les unes que les autres.
Les sept piliers de la sagesse de T.E Lawrence. Un savant mélange d’aventure, de philosophie et de spiritualité, bouleversant.

3 phrases
« Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels vivant une expérience humaine. » Pierre Teilhard de Chardin
« Dans ma tête passe souvent une image très étrange, qui fait que le présent (l’espace d’un éclair) m’apparait comme le double d’un passé inconnu. » Germain Nouveau
« Ne nous prenons pas au sérieux, il n’y aura aucun survivant. » Alphonse Allais

Interprétations

Soula.JE

Mon regard sur Soula.JE

Préambule : Le nom de Bibliothèque des futurs a tout de suite ouvert pour moi une infinité de possibles. Ce titre, je l’ai tout de suite associé à la rétrocausalité. Cette bibliothèque contient déjà tous les livres qui peuvent et vont être écrits. C’est réellement « se souvenir du futur. »
On peut imaginer que les livres de cette bibliothèque soient à l’origine des thèmes qui seront abordés par les écrivains de notre temps. Certains seront, suivant le désir de chacun, écrits mais pas lus, ou écrits et lus mais pas publiés, ou les trois.
Quand on programme un chemin sur son GPS, que l’on vise un objectif d’écriture, les coïncidences, les synchronicités, l’intuition, peuvent nous faire faire des rencontres qui enrichiront le propos, et permettront de dévoiler un thème qui nous aurait été inconnu si nous avions suivi une voie classique.
Ce projet est tout simplement vertigineux.

Le 23 Septembre 2024 était utilisée pour la première et unique fois, dans un espace verdoyant et bucolique, où le chant des oiseaux et l’ombre joyeuse des nuages se projetaient sur les séquoias du canton de Schafflouse en suisse, la capsule « Sarco », une capsule d’assistance à l’euthanasie, une capsule imprimée en 3D. Ici point de gaz hilarant mais de l’azote pour vous «Soula-G» .(1)
Cette solution a-t-elle été aussi efficace que pour le mari de Mathilde ? Nous pourrions l’appeler Matthieu ou Marc ? Je l’appellerai Matthieu. C’est important de nommer un homme et c’est d’autant plus important que celui-ci est voué à disparaitre, que son corps est voué à la disparition dans son aspect formel, sauf cas d’incorruptibilité.
Cette nouvelle, au demeurant pessimiste, trouve dans cette actualité du 23 septembre dernier une raison optimiste de croire en l’avenir, une raison qui me fait dire que cette dystopie n’existera jamais. Cette affirmation trouve sa justification dans la théorie de la rétro-causalité.
Cette théorie, proposée par Olivier Costa de Beauregard dès 1960, et développée par le physicien Philippe Guillemant, émet l’hypothèse que la causalité peut être inversée.
Il ne s’agit pas ici de mécanique quantique mais plutôt de physique de l’information. Cette théorie pourrait se résumer ainsi : « Ce qui n’est pas déterminé par le passé est déterminé par le futur » .
Nietzsche a aussi dit que « notre avenir exerce son influence sur nous, même lorsque nous ne le connaissons pas encore » .
Ce projet de montre mortifère, pensé en 2015, devient alors la conséquence d’un projet réalisé dans le futur, simplement comme un « souvenir du
futur ».
Ce projet de montre mortifère est une variante, une forme plus économique et plus discrète de la capsule «Sarco» .
Telle une capsule spatio-temporelle, le projet déjà réalisé dans le futur influence l’idée présente dans la fiction de la montre Soula.JE que Matthieu utilise. Et j’ose avancer que l’autrice de cette nouvelle a été rechercher, inconsciemment, cette information.
Notre vision de la ligne temporelle « passé présent futur » est conditionnée, elle est la voie sur laquelle les événements se déroulent, le chemin que prend Matthieu depuis la mort de sa femme vers sa propre mort. Inexorablement.

Un vide de vie habite cette nouvelle.
Et pourtant à la toute fin du texte, Mathieu passe à côté de la vie, il passe à côté du pissenlit, qui était comme un soleil inscrit au cœur de ses cellules mais masqué par le deuil.
Matthieu n’avait vraisemblablement pas appris à regarder à l’intérieur de lui-même, ce savoir aurait pu éveiller en lui le désir, il aurait pu regarder à l’intérieur de l’air qu’il respirait, car c’est bien dans ce vide que l’espoir résidait, entre les atomes que l’information se trouvait, que le potentiel du « Tout » permettrait à la vie de germer à nouveau.
L’espoir d’une rencontre restait possible, d’une intimité avec son propre « verbe qui est l’âme de la matière. » (2)


(1) https://www.rts.ch/info/regions/autres-cantons/2024/article/la-capsule-controversee-de-suicide-sarco-a-ete-utilisee-pour-la-premiere-fois-a-schaffhouse-28641126.html
(2) « La puissance de l’âme. Sortir vivant des émotions » de Bertrand Vergely

Le grand affaissement

Un réseau neuronal de failles géologiques

La ville de Saint-Brieuc repose sur un réseau neuronal de failles géologiques.

Cette histoire commence par un mouvement contraint, une rencontre fortuite entre deux forces opposées, une porte et son encadrement.
Dès les premiers paragraphes, on comprend qu’il se trame quelque chose en dessous de cet appartement, que l’origine de l’action « dans le fond » serait la rencontre souterraine de roches qui, dans leur dialogue, seraient en conflit, front contre front. On en viendrait presque à questionner le professeur Liedenbrock*

il serait aussi question de retrait et de gonflement, du retrait des habitants face au problème qu’ils découvrent petit à petit puis du gonflement de leur colère, à moins que cela ne soit tout simplement d’argile dont il est question, somme toute l’Adam est absent du récit.

Le quartier de Saint-Brieuc où habite le personnage principal, un homme dont le prénom a disparu entre les mots, n’est pas précisément situé ; mais en regardant les cartes géologiques de la ville de Saint-Brieuc, tout devient plus clair. Que se passe-t-il là-dessous ?

La vallée de Gouédic est, d’un point de vue géobiologique, ce que l’on appelle « une zone de faille », la roche plus tendre s’est érodée et a donné naissance à une vallée. Ces zones de failles peuvent être soumises à de nombreuse nuisances et les faire remonter à la surface, et des failles à Saint-Brieuc ce n’est pas ce qui manque. Elles sont aussi le visage de la ville, en « bonne mère » de famille elles sustentent de leur érosion la grande baie.

Sur le lieu même de ce récit l’exposition au retrait et gonflements des argiles est classé en exposition faible pourtant sournoisement ils se trame quelque chose.

Cette configuration géologique vient ajouter sa signature, une signature en deux dimensions, celle du temps et celle du mouvement.

La ville de Saint-Brieuc repose sur un réseau neuronal de failles géologiques, de 650 millions d’années, elle est assise sur le socle Pentévrien, tout les quartiers communiquent entre eux, dans leur inconscient, une information sans contrainte irrigue ses vallées.

Il n’en fallait pas moins pour que les réactions piézoélectriques dans les profondeurs de la ville se manifestent et se fassent entendre, tout comme les habitants prenant conscience de leur malheur.

Toute la ville est sous tension. Les cours d’eau ont emporté avec eux les films du Club6, les magasins des Champs et les commerces de la rue Saint-Guillaume.

Tout laisse donc à penser qu’une raideur pourrait gagner le personnage, il n’en n’est rien. Il se laisse porter par les mouvements de terrain après une période d’incompréhension et d’anxiété.

Ensuite il observe.

A la surface, « La Vi » (l’Assistante Virtuelle Intelligente) suit son court comme superficiellement immobile, mais en dessous, des bruits sourd de luttes, d’anciennes coulées, des fractures, des désagrégations surgissent encore mais à une vitesse et un temps géologique imperceptibles à l’échelle humaine.

Les communes du littoral sont mise à la même enseigne, la résistance se met en place, une résistance bétonnée contre l’érosion.

« Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas »

Le personnage s’affaisse dans son canapé, le voilà dans ses «sous-venirs», le terrain s’affaisse sur sa chaine cadomienne, la tension dans la population est palpable, le manque de considération des services de l’état, des assurances, et les roches qui continuent d’être sous pression, en tension elles aussi.

Paradoxalement dans ce récit on finit par ressentir le bien-être de la contemplation et d’une sérénité bien étrange, surement dûe à la beauté de la nature, à sa force et à son message.


* Voyage au centre de la Terre , Jules Verne