Roland Jean Fichet Résonances
Qu’elle ne meure
Louis Bocquenet est mort dans la nuit du 29 au 30 octobre 2025 à Saint-Brieuc.
Le premier novembre, alors que nous roulons, Annie Lucas et moi, vers le cimetière du Morbihan où reposent mes parents, je lis à voix haute l’article de Louis qui a pour titre Qu’elle ne meure. Nous le connaissons ce texte mais aujourd’hui nous voulons entendre les mots de celui qui vient de nous quitter : notre ami Louis Bocquenet, poète et philosophe, grand méditant.
Le 6 janvier 2025, Louis Bocquenet m’a remis un texte manuscrit de 24 pages. Il a sonné à ma porte, me l’a donné et est reparti. Le texte de Louis commence ainsi : Cher Roland, tu trouveras à suivre les associations et évocations que m’a inspirées ta pièce : Qu’elle ne meure. Ému, j’ai lu les pages de cet homme au visage de barde celte. Dès la troisième page, sous le titre de chapitre PROJECTION-PROJECTILES, Louis évoque les actes de lapidation dans l’histoire de sa famille et dans sa propre histoire. Il est physiquement présent dans son texte. Avec barbe et moignon.
Le 8 janvier, nous entamons, Louis et moi, un dialogue à partir de sa méditation sur Qu’elle ne meure, nous le poursuivons le 9, trois jours plus tard une hémorragie cérébrale précipite Louis dans le coma. Louis retrouve après des semaines de lutte contre la mort sa pleine conscience et la parole. À sa demande, nous reprenons notre conversation chez moi, puis aux Jardins d’Arcadie et enfin chez lui.
Les titres des chapitres qui structurent l’article que m’a apporté Louis le 6 janvier donnent une idée des thèmes autour desquels se sont articulés nos échanges :
- Projections – projectiles
- L’aveu
- La dette
- Déplacement
- Qu’un sang impur
- Blessure infinie
- Violence des hommes
- Aveuglement
- L’index accusateur
- Fatim : celle qu’on détache du mal
Dès notre premier dialogue le 8 janvier, Louis a mis une des dernières scènes de Qu’elle ne meure en résonance avec une scène biblique : la femme adultère. Il est revenu plusieurs fois sur cette scène compacte et tendue lors de nos conversations. « Maitre, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère, or, dans la loi, Moïse a prescrit de lapider les femmes de cette sorte. Toi-même que dis-tu ? »
Louis insistait sur la posture de Jésus. « Jésus s’étant penché se mit à écrire du doigt sur le sol.» Louis voyait Jésus penché vers le sol traçant des signes avec son doigt dans la poussière et les pharisiens debout derrière son dos. Tout son comportement corporel, écrit Louis, est une démonstration de non-violence. Le corps se penche, position inconfortable d’humilité pour écrire. Le regard et l’index sont centrés sur le sol…Il s’établit ainsi une distance dans le temps et dans l’espace, propice à l’interrogation : mais qu’écrit-il donc ? Il ne répond pas, est-il troublé ? Doute-t-il ?…Qu’obtient donc Jésus avant de prononcer sa puissante métaphore qui retournera la situation ?
Je relis ces mots de Louis tous les jours depuis qu’il a quitté ce monde et c’est lui que je vois traçant avec son doigt des mots sur la peau de la terre..
Hier, j’ai relu ma pièce Qu’elle ne meure, en essayant de la lire avec les yeux de Louis, elle m’est apparue sous un nouveau jour.
Roland Jean Fichet
8/11/25





