Bernard Étienne

3 mots
Réseaux – humour – dialogue

3 œuvres
L’écume des jours – Boris Vian.
Alcools – Guillaume Apollinaire.
Une magie ordinaire – Kossi Efoui.

3 phrases
De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins.
Sous les pavés, la plage.
Quand on est con, on est con et le temps ne change rien à l’affaire.

Interprétations

Bunkering

Visiblement, rien n’a été fait dans ces deux mondes de la fin du XXI siècle. De nombreux pays, la Russie, la Suisse, Israël…contraignent leurs citoyens aisés à construire des abris anti-atomiques. On en compte déjà 400 en France, mais la demande a explosé avec la guerre en Ukraine. Aux U.S.A, c’est une vraie pratique culturelle, dans la Silicon Valley, un millionnaire sur deux possède un bunker. Le père de l’héroïne a fait fortune dans le numérique.
Mais depuis une dizaine d’années, c’est la peur des migrants climatiques ou d’émeutiers de la faim qui poussent les nantis à construire ces bunkers :

« Dans sa tête.

La peur.

Il rêve de ces hommes qui viennent vivre dans la forêt.

Ils viennent vivre dans sa forêt.

Ils viennent de loin, d’on ne sait où. »

L’héroïne a quitté «  l’école où l’on n’apprend pas à lire des manuels de survie. »

Ce très long soliloque m’a fait penser à une séance de psychanalyse d’adolescente boulimique :   « J’aime me goinfrer de sauces, n’importe quelle sauce, du moment qu’elle soit grasse et lourde. » Nous sommes loin du photographe gourmet de Frédéric Ciriez (Or comme ordure) qui déjeune « d’oeufs brouillés, d’un demi-homard à l’armoricaine, d’un demi-sancerre, d’une crêpe à la ricotta et à la rubarbe »
L’héroïne se décrit comme «  bizarre et malade », elle se défoule à la manière de beaucoup de jeunes américains en tirant :

« J’aime les armes à feu

J’ai appris à tirer très tôt.

Je peux tirer toute la journée. »

Bunkering nous apprend qu’on ne se sauve pas du déclin humain en s’enfermant dans une forteresse, on s’y détruit par désœuvrement : «  Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui à part baiser et bouffer ? »
La jeune femme s’interroge :

« Faut-il vraiment aimer ses parents ?

Est-ce que j’ai eu seulement une fois dans ma vie une famille ? »

Sa mère « l’a tellement fait chier avec les arbres, et le ciel et les cerises. »
Elle méprise aussi son père « un homme grotesque et dangereux »qui aimait poignarder les bêtes, « les égorger, entendre le bruit de la bête qu’on égorge ».

C’est un jouisseur sadique et pervers, sorte de Barbe Bleue du futur :

« Il beugle.

Il s’endort sur ce corps frêle et blême.

Il l’étouffe. » 

Que reste-t-il à l’héroïne pour continuer à vivre, à rêver ? Un univers minuscule de maquettes paternelles dans un grenier, un livre d’Oscar Wilde…Et quelques herbes folles dans un cimetière qui lui permettent, peut-être en un matin ensoleillé, de faire la paix avec ses morts.
Pour autant son monde demeure désespérant, alors…  « Quoi faire ? »

Le texte de Frédéric Vossier n’est pas le seul à prédire un monde hostile, angoissant. Sous des formes diverses, on retrouve ce thème chez Alexis Fichet (Rudimenteurs),
Gildas Milin ( F.A.M.), Alexandre Koutchevsky (Mourir bio), Roland Jean Fichet (On passe à autre chose.)Replier

Dans les jardins d’electropolis

Un mécanisme d’engloutissement

La répétition des termes « viandes » et « chair » traduit-elle la volonté de dénoncer l’élevage intensif qui détruit les espaces naturels, pollue les sols, l’air et l’eau ? Nous assistons à une sur-consommation de produits carnés fort nuisibles à notre santé fondée sur une logique criminelle du profit à tout prix. On élève aujourd’hui des porcs pour leurs seuls excréments vendus plus chers que la viande ! Ils alimenteront en continu des méthaniseurs qui produiront de l’électricité pour éclairer et chauffer d’autres élevages…

 « Nous ne survivrons pas.»  affirme Lancelot Hamelin, puisse-t-il avoir tort .Replier

Kamplac’h.bzh

Humour.bzh

L’humour se manifeste en premier lieu dans la thématique : une boiteuse dévergondée revitalise le bourg en créant un site porno en ligne et en breton, pour bénéficier de subventions régionales !

Le ton est grivois, jamais vulgaire : « Nos très catholiques polonaises, vous les verriez au taf, des furies ! […] Certaines de nos artistes sont de vraies circassiennes de la galipette […] Et sage, malgré la raideur de sa queue dans son jean Barbe bleue. »
L’humour devient caustique lorsque Fañch Rebours esquisse la situation politique, socio-économique de son univers : « Universitaire, prof ou écrivain, pas les moins pervers […] Depuis que l’État n’est plus laïque on se méfie. […] Trop de coups de couteaux dans le dos de la part de collègues détestant les têtes qui dépassent […] Amorale, sans doute mais que pèse le moralisme face aux nécessités du commerce ? »
J’aimerais beaucoup lire une suite.Replier

F.A.M.

Un phénix réinventé

Le Personnage de Roman se réplique, brûle, se liquéfie, explose, mute… est démembrée, tel Osiris avant d’être reconstruite par une amie d’un autre âge. Chaque destruction, chaque renaissance s’accompagne d’horribles souffrances, de hurlements. C’est une nécessité. Le Personnage de Roman se transforme par le verbe – J’étais devenue comme je crie – souvenir du prologue de l’Évangile selon Saint Jean ?
Le Personnage de Roman n’est pas un manifeste, c’est un Oracle qui hurle pour se faire entendre des humains – J’annonce bien la fin de l’humain tel qu’il a été pensé… Je pressens la disparition pure et simple des corps… mais seulement après qu’ils aient beaucoup souffert –
Mais qui l’entend ?Replier

Les Rudimenteurs

Il fallait qu’il se presse. Il avait entendu dire qu’un autre clan s’activait pour ranimer une très vieille coutume à laquelle il n’avait rien compris. Ils prétendaient être le clan des acteurs, ou des auteurs, il n’avait pas bien compris. Le plus curieux, c’est qu’ils avaient été détruits, d’après la légende, par le clan des thérapeutes! Et voilà qu’ils voulaient investir un vieux land déserté appelé « Poutrelle » ou « Passerelle. » Apprendre ça l’avait fait réfléchir. On ne savait rien ou presque de ce qui se passait dans les autres clans. On devrait s’organiser pour arranger ça.
Il aperçut son ami Naptha qui entrait dans le hangar du K. Il sourit, contrairement à Naptha, il n’aurait le temps de baiser ce matin. Il avait une réunion avec son clan. D’ailleurs c’est lui qui l’avait provoquée pour faire avancer son idée.
Il pressa le pas…On ne faisait rien de ses journées, à part dormir et faire la queue pour boire et manger.
Seuls travaillaient, les farmeurs et les rudimenteurs. Et puis, voila que ce clan des acteurs…Alors pourquoi pas nous s’était-il dit ?
Mais quoi faire?

Pourquoi ne pas faire le tour des autres clans chaque matin, pour apprendre ce qu’ils avaient vraiment fait ? On pourrait aussi, le lendemain raconter ce qu’on avait entendu…
Oui, mais comment retenir ce que chacun dirait ? Il était impensable de pouvoir tout retenir, il faudrait être plusieurs, faire des choix. C’est ça, il fallait trier les récits, on ne pouvait peut-être pas tout dire non plus….

Il repensa à Naphta en train de baiser dans le hangar du K. S’il me racontait sa matinée, je le raconterais à d’autres ou pas ?Replier

Vendredi soir

Le groupe de réfugiés qui «  quitteront en quelques générations les pratiques compliquées de leurs ancêtres pour se contenter de pêcher et de chasser. »
Le gamer branché 24 heures sur 24 sur son ordinateur, dans un appartement dont il n’a pas franchi la porte depuis longtemps.
En revanche, le haut-parleur, le capitaine de vaisseau, le petit poisson meurent car ils sont inadaptés à leur milieu.
L’intelligence artificielle maîtrise le sien. Elle est même dotée de facultés humaines. Quand elle s’ennuie, son envie de jouer la rend opportuniste. Elle profite d’une erreur de l’informaticien et d’être seule pour créer son programme et le cacher.Replier

Trésors

« Or les chiens aboyaient. »

Ce qui me frappe c’est le nombre 40, dont la symbolique marque de nombreuses civilisations. 40 est l’aboutissement d’un cycle de réflexion, le nombre de l’attente et de la préparation à une épreuve ou un châtiment. On le trouve dans les évènements majeurs de la Bible :

  • Saül, David, Salomon règnent 40 ans.
  • Le déluge dure 40 jours.
  • Moïse est appelé par Dieu à 40 ans et demeure 40 jours sur le Sinaï.
  • Jésus passe 40 jours dans le désert. Certains textes suggèrent que son prêche dure 40 mois et qu’il ressuscite après 40 heures.
  •  Bouddha et Mahomet commencent à prêcher à 40 ans.

C’est aussi un nombre lié aux rites funéraires. Les funérailles des Peuls durent 40 nuits comme d’autres rituels mortuaires. Il faut 40 jours pour que le mort soit totalement mort.

Le premier contact de la narratrice avec Saint-Brieuc se fait par la découverte d’un mémorial des naufragés, mais ils sont muets comme les éoliennes qui « ne lui faisaient aucun signe ».

Le déclic adviendra le 2ème jour, près de l’ancienne décharge : « Or les chiens aboyaient » (p.8). Le verbe aboyer est utilisé 3 fois de suite et cette courte phrase est mise en exergue par la pagination.
La narratrice devient médium. Les éoliennes l’ont oppressée, elle a dû partir, mais le message n’était pas clair. Après l’intercession des chiens et l’apparition mystérieuse d’une sorte d’ombre animale, l’invisible se dévoile. Dans presque toutes les mythologies, les chiens, familiers de l’invisible, sont associés à la mort et aux enfers. Ils sont psychopompes, ils guident les hommes dans la nuit de la mort, après les avoir accompagnés dans le jour de la vie.

Les lieux soudain parlent et s’ouvrent aux sens de la narratrice. C’est la découverte du premier trésor : « Je ne sais pas qui elles étaient ces ombres, ces brumes, cette magie, mais mes mains tremblaient doucement ». (p.11)

Le second trésor se révèle au musée, dans la collection de photos de Lucien Bailly. Un cliché l’interpelle. Une femme morte, allongée, les mains jointes lui demande ce qu’elle souhaite savoir.

« Les temps présents sont troubles et…nous cherchons conseil auprès de vous » (p.17). La réponse est limpide : « Soyez charitable. Aimez votre prochain. » Lucie Taïeb n’est pas la seule à penser que la fraternité est un puissant moteur social.Replier