L’Assemblée Interprétative du 15 mai 2023

Programme

Annonce

NOS FUTURS
Villa Carmélie, Saint-Brieuc 15 mai 2023
Avis aux exploratrices avis aux explorateurs de futurs !

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Invitation
15 mai 2023 à la Villa Carmélie – Rue Pinot Duclos 22000 Saint-Brieuc
Séances ouvertes à toutes et à tous – 14h30 – 16h30 – 18h30
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Flyer du thème A

DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème A : De quel prix se payent les futurs qu’on se prépare ?
De quel prix se payent les futurs que je me souhaite ?

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Flyer du thème B

DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème B : Dans l’eau, sur l’eau, sous l’eau ça bouge … On va vers quoi ?

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Flyer thème C

DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème C : Que vont devenir nos corps ? nos langues ?

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Photos

Bilan

« Au cours des assemblées interprétatives, dans le flux des lectures, des interventions, des échanges, j’ai tenté de capter des lignes sensibles, des intensités, des éclats, des citations, des fugues. Dans le dispositif ci-dessous, inspiré par l’assemblée interprétative du 15 mai 2023, je tente des articulations, des passages, des lignes de fuite à partir de 7 nouvelles prédictives de la BDF. »

Télécharger la synthèse de Roland Fichet

Inspirations / Expirations

Merveilles et anti-merveilles de la baie de Saint-Brieuc

Les sept merveilles de la baie de SB ( ou mes coins à champignons) / (et de la difficulté d’éviter les clichés, la carte postale touristique, le pittoresque, les accès lyrico-sentimentaux + de la difficulté de s’arrêter au chiffre 7) = la réserve inépuisable de la baie

  • le balcon sur mer en granit ouvert à tous et parfaitement démocratique du poste de garde de la Guette sur le sentier qui va du port de Dahouët à Pléneuf-Val-André
  • le tour du Coucou sur le GR 34, et la ligne de crête rocheuse qui descend vers la petite plage grise du Vau Madec ( où se tient un arbre mort décoré de coquilles d’huître qui étincellent au soleil)
  • les bancs avec vue sur mer au dessus de Tournemine – s’y poser, ouvrir grand le regard et le souffle, rêvasser
  • jaune colza sur bleu de Manche
  • les cormorans juchés sur les rochers au large de Tournemine, leur silhouette noir de jais, et leur beauté seigneuriale quand ils ouvrent grand leurs ailes pour les faire sécher
  • Tournemine, inlassablement sillonnée, toujours neuve, lustrée, ventée, vaste poumon où se réfugier et se retrouver
  • la crique du Barillet près de Pordic, dont la difficulté d’accès rend le lieu aussi secret qu’une plage de contrebandiers
  • l’amer blanc sur rochers noirs de Martin Plage
  • l’ail aux ours dans la vallée de Tournemine lorsque les fleurs éclosent au printemps et forment un éclatant tapis blanc
  • la plage de la Banche à Binic, lorsque le soleil fait miroiter la surface de l’eau d’une infinie présence scintillante
  • l’estran immense et luisant à perte de vue les jours de grande marée – de Tournemine à Binic
  • la présence conjointe du sédiment et de la roche, du prunellier en fleurs et du chêne vigoureux au tronc travaillé par le temps
  • le sentier Shelburn qui conduit à la plage Bonaparte à partir de la maison d’Alphonse, et l’intense joie qui prend le promeneur quand la mer se devine et se découvre au travers des arbres
  • la route des Falaises qui conduit à la pointe du Minard, son asphalte tavelée, son lichen mordoré, d’un orangé de giroflée, sa hauteur de vue et sa perspective ouverte sur la mer si vaste
  • chez Paulette au Palus, pour le plaisir de prendre un verre dans la proximité de la plage, des falaises et du vent
  • les toponymes en breton associés au français sur les panneaux à l’entrée des villes et des bourgs
  • le mot breton « glazig » qui condense le bleu de la mer et le vert de la campagne
  • les chevaux, et leurs cavaliers, qui s’élancent sur la plage, superbes, inaccessibles, privilégiés dans l’ivresse des sensations qu’une certaine altitude assurément vient amplifier
  • l’orgie de mimosas qui saisit les routes côtières à la fin du mois de janvier et fait resplendir l’espace d’un éclat où se pâmer
  • les falaises flanquées du flamboiement jaune vif des ajoncs au printemps
  • la chapelle de Kermaria an Iskuit sur la commune de Plouha, pour son incroyable danse macabre et son humble vierge aux sabots noirs
  • le cinéma Arletty à Saint Quay Portrieux, pour son nom, son enseigne lumineuse violette et désuète, et sa modeste mais vigoureuse présence
  • le café de la Plage à Saint Quay Portrieux, avec la vue sur la plage du Casino, sa piscine d’eau de mer et la visite des mouettes avides et sauvages
  • la Ville Robert et Marie Casagranda la magnifique, à Pordic, lieu de culture généreux, intelligent, où se raconte avec une libre fantaisie la joie du spectacle vivant
  • le Tagarin à Etables sur mer, son poêle qui rassérène et la quiétude du lieu dans la compagnie des livres
  • l’abbaye de Beauport pour sa nécessaire romantique poésie des ruines, ses trois dames de bois en plein conciliabule arrimées au mur de pierres dans le hall d’accueil, et ses jardins raffinés
  • le vol d’une aigrette, et de tout oiseau marin que déloge notre approche sur la plage ( souvent en groupe, leur envol alors, qui chagrine autant qu’il ravit)
  • le salut inattendu et renversant d’un dauphin qui jaillit hors de l’eau non loin du rivage
  • les nuages, les « merveilleux nuages », – lever le nez et prendre la mesure de la texture du ciel-, nuages fantasques et capricieux, pour des éphémérides de vent d’ouest
  • les tessons de verre polis par l’eau salée, et cueillis comme petites merveilles au fil d’une promenade marine
  • le ciel quand il est d’un bleu somptueux, au dessus de la mer qui le lui renvoie bien
  • les vaches ( ultimes ?) qui paissent du côté de la Ville Quéré sur la commune de Pordic, avec vue sur mer depuis leur champ
  • le littoral encore préservé de la voracité des promoteurs immobiliers
  • les talus qui résistent et ceux que certain.e.s redressent, les talus moussus, lierre et nombrils de Vénus

Les sept anti-merveilles de la baie de SB = vues repoussoirs

  • la RN12, et son pouvoir d’attraction qui nous rend tous imbéciles, la RN 12 anti-merveille absolue et redoutable ogresse
  • les 62 éoliennes à côté d’Erquy – la mer industrielle qui nous prive d’un bon bout d’horizon– à moins de les considérer comme des moulins de mer
  • toutes les zones commerciales à la périphérie des villes et bourgs – Langueux, Pordic, Binic – leur incommensurable laideur, leur non-existence qui nous tient hors-sol, et annihile la sensation d’un possible paysage
  • tous les lotissements qui s’emparent des bourgs au mépris du patrimoine existant, obéissent à des logiques comptables et semblent ignorer la nécessité de conditions de vie favorables au bien-être des gens
  • les dents creuses qu’il faut à toute force combler
  • les plages recouvertes d’algues vertes, à chaque printemps plus tonitruantes, invasives, indélogeables
  • l’atmosphère pestilentielle de la plage du Valais due à la présence de l’azote sulfuré dans l’air
  • les rivières polluées par les pesticides et les nitrates, la disparition des poissons, les rivières qui n’inspirent plus confiance et n’invitent plus au contact
  • les microplastiques que l’on ne voit pas et qui sont présents dans la mer
  • le tourisme qui asservit l’économie locale
  • les embouteillages monstrueux à l’entrée de Binic en pleine saison estivale
  • les maisons secondaires aux volets clos toute l’année sauf l’été
  • les maisons néo-bretonnes
  • les usines à cochons des Côtes d’Armor et les usines à volailles que l’on ne voit pas mais qui sont bien là
  • les grosses entreprises agro-alimentaires dont Cooperl à Lamballe et son éthique douteuse ( voir dossier sur le site Splann!)
  • le bocage défait et les étendues agricoles livrées à la monoculture


Le mur des imaginations

Il m’est venu un poème, un poème écho à tous ces textes qui surlignent la seule négativité, de l’effondrement, des catastrophes …dans le réel et dans les représentations du futur. L’expression « aller droit dans le mur » n’a jamais été autant utilisée.
J’ai donc intitulé ce poème Le mur. J’ai aussi tenté de répondre à la proposition de Roland : faire en sorte que nos écrits débouchent sur du projet, de l’action, une réalisation quelconque.
Voici donc ma proposition : imaginer sur le modèle du « Mur des lamentations » des murs sur lesquels ( à la surface ou dans les interstices ) les gens puissent écrire, coller, afficher, peindre, introduire … leurs idées, propositions, prières … produites par leur imagination.
Ce mur ou ces murs pourraient être fabriqués avec des briques de cellulose, durables ou éphémères, fixes ou mobiles.

Le Mur

Voici que pour beaucoup
Toi parfois
Le futur apparait comme un mur
Comme une fermeture
Un mur à la place de la ligne fictive
De l’horizon
Un mur qui bouche la vue
Un mur tentation aussi
Tentation de frontière
Contre le voisin
L’autre
Devenu l’envahisseur
Le voleur
L’avaleur
Voici que pour certains
Moi certains matins
Le mot « futur»
Sonne et fait même fêlure
Que le mot « peur »
Que chaque ponctuation du présent
N’augure
Rien de bon
Disons rien d’autre
Que quelque chose de la mort
Voici que le futur
Ne rime plus avec « ouverture »
Sinon
L’ouverture de la boîte aux mensonges
Aux poisons
Pour bon nombre
Aujourd’hui
Chercheurs en écritures
Le poison en question
N’est autre
( ou son ombre )
Que le péché originel
Dont parle le vieux récit :
La connaissance mise au service
De la violence
Ou plutôt par elle asservie
Beaucoup
Nous tous sans doute
Sont frappés par la course effrénée
D’une horde humaine
Dévoreuse
Aveuglée
Livrée à elle-même
En fuite
Épileptique
Derrière le bélier halluciné
Par sa propre panique
Et qui court se noyer
Mais quelques uns
De plus en plus
Restent sur le côté
En marge
Et gardent
Le rythme de la marche
Et allument une lampe de poche :
Un mot
Une note
Une couleur
Une encoche
Un geste de premier secours
Qui petit à petit
Rameute un archipel
Sur une conviction que quelque chose
D’autre
A du sens
Fait appel :
Un choeur
Pour accorder du souffle
Ouvrir le dedans du dehors
Et le dehors du dedans
Il y a la lucidité des savants
Il y a aussi la lucidité des naïfs
Et bien souvent
C’est elle
Qui a ouvert
L’utopie porteuse de transformation
Alors
Ce mur en question de futur
Devant nous:
Un mur de lamentations ?
Un mur de dénonciations ?
Un mur de mise à l’index ?
Ou non :
Un mur des imaginations
Pour répondre
De ses convictions
Car nul disait Saint-Ex
Ne peut se sentir à la fois
Responsable
Et désespéré.


Réjouissons-nous d’avoir peur

Je fais partie des lecteurs interprètes de la BDF, qui recherchons les points de contact entre les fictions que nous y accueillons, et il y a un point qui n’a pas encore fait l’objet d’un commentaire spécifique, mais qui revient régulièrement dans nos échanges, c’est la peur, la peur que ÇA ARRIVE. Toutes les fictions donnent l’alerte sur ce qui, dans le
présent, menace notre futur, en faisant surgir un futur rendu-présent non pas « tourné vers le pas encore » dont parle Paul Ricoeur, mais vers le déjà-là – que ce soit sur le plan politique, social, environnemental, culinaire ou autre et qui fait carrément flipper.

Il y a des textes qui nous nous font peur parce qu’ils nous projettent in medias res – directement – dans la catastrophe, autrement dit la fin, mais la fin de quoi après tout ? La fin de ce qu’on vit là ? Ce qu’on subit et de qu’on fait subir au vivant – au pluriel et au singulier ? J’ai parfois le sentiment que les auteurs sont des enfants qui jouent à se et à nous faire peur pour que nous puissions penser et grandir mieux, vivre moins mal, « mourir bio », pour reprendre le titre d’Alexandre Koutchevsky. Une peur qui convoque en chacun de nous, comme dit Roland, des énergies créatrices. Une peur non paralysante, mais inspirante. Une peur qui met du sens là où il n’y en a plus.

Et il y a autre chose. Il y a dix jours, j’ai assisté à une rencontre avec la pneumologue et lanceuse d’alerte Irène Frachon à la librairie Mots et Images de Guingamp. Elle venait y présenter sa BD sur Le Médiator. Une des premières choses qu’elle a dite était que les artistes avaient été les premiers à s’emparer de cette question – elle faisait allusion au film d’E. Bercot… et à la pièce de Pauline Bureau… – les premiers donc à la soutenir dans sa lutte contre le crime « chimiquement pur » des laboratoires Servier, que c’est à la périphérie qu’elle avait trouvé des appuis… En apparence il ne s’agit pas de futur, mais plutôt de dénoncer des crimes passés et présents, mais aussi la perte de sens, le capitalisme, et c’est tout de même un combat qui intéresse notre avenir.

Cette notion de périphérie, de détour, est vraiment intéressante. En tant que lectrice, je me suis souvent sentie entraînée dans des chemins que je n’aurais pas empruntés seule, des forêts, des déserts, des îles, des jeux… Il y a beaucoup de jeu dans ces récits prédictifs, ça passe beaucoup par le jeu – j’ai écrit un commentaire à ce sujet pour la BDF -, donc je ne développerai pas ici – jeu de mots, jeu d’identité, situation cocasse, registre de la dérision dans Infixés de Jean-Marie Piemme et dans Mourir Bio, scénario catastrophe dans Bunkering de Frédéric Vossier, course poursuite dans le texte vidéoludique Last Level de Julien Gaillard, éclatement du langage comme un grand éclat de rire dans F.A.M. de Gildas Milin, comme des paroles dégelées pour entendre le monde autrement, etc etc. On pourrait voir la BDF comme une zone de banlieue qui crée un rapport de force avec ce qui – plus au centre – nous étouffe en prétendant nous rendre heureux.

Cette peur, ce malaise, cette insécurité dans laquelle nous plongent les textes, c’est ce détour absolument nécessaire, voire salutaire, pour lâcher prise et penser autrement.
Anne Le Baut, distinguée lectrice-interprète, évoque, à propos de Vendredi soir, « une écriture de l’insécurité et de la résistance. Pour faire advenir les idées ». Ainsi Abandonner de Fanny Mentré nous rappelle qu’il faut avoir plus que carrément peur du capitalisme ;
en 2015 le célèbre physicien Stephen Hawking disait “Ayez peur du capitalisme, pas des robots”. Ce n’est pas Alexis Fichet, auteur de L’Andréide, qui dira le contraire…
Je terminerai en évoquant la réalisatrice et activiste Camille Étienne. Elle a une passion pour l’océan, alors qu’elle ne sait pas nager, et elle a fait de la peur son moteur. Dans une interview sur Télérama, elle invite à faire une place à la peur. « On doit flipper, dit-elle […]
sans peur, on n’évite pas le danger […] La peur doit absolument exister dans le débat public, sans quoi on la relègue dans l’intimité. » De même que « l’éco-anxiété n’est pas une maladie, mais une réponse saine à un monde malade », de même nos fictions sont des pharmakoi qui nous vaccinent contre l’immobilisme, la morosité et le manque d’imagination.

Donc, réjouissons-nous d’avoir peur.


L’écriture du turfu

Devant le Sphinge, il faut savoir répondre ou mourir. A la présence d’esprit s’oppose l’esprit de l’escalier. Comment répondre à l’énigme et, en quelque sort, lui retourner le miroir ? En ayant le temps du retour pour chaque mot qui est sur le bout de la langue devenu bout de papier : c’est écrire. Ecrire, c’est prendre le temps du perdu, prendre le temps du retour, s’associer au retour du perdu.
(…)
Pascal Quignard, Le nom sur le bout de la langue.

L’écriture du turfu

L’écriture du turfu
se disait-il
C’était déjà
Une mise en page
particulière
et un refus des codes
ou des contre-codes
Qu’on connaissait depuis au moins déjà

Hugo
ce punk incontournable
dont Rimbaud
autre punk devant l’éternel
pardons pour l’oxymore
reconnaisssait les talents de voyant
Plus que jamais
dès lors
l’écriture du turfu devait voler le feu
Ce n’est pas du …
c’est Arthur encore

l’écriture du turfu
c’est le
BLASPHèME
de la
Syntaxe
évidemment
BLASPHèME de la logique
BLASPHèME de la typographie
Du vers libre même
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME
Paradoxe malin
Comment encore disloquer ce nouveau
Grand niais
Qu’on s’ fade depuis
depuis
Qu’on se fade
Vraiment depuis
Depuis Vl’a le Temps
Allégorie pour faire joli
Prosopopée pour
Pérorer
Futur Dieu pas beau dont le carbone nous menace
ET NOUS DIT
Ferme bien ta gueule
Vieux pleutre courbé sur ton CAC 40
Qui ne daignait rien voir

L’écriture du turfu
C’est qui
C’est quoi
C’est toi
C’est moi

Qui invente ou inventera
Pas à pas
ou inventera pas
Ce qui n’existe pas
Pas encore
Plus
Plus !
Avec un s
cette fois

L’écriture du futur
Automatiquement
« Est-ce de la poésie ? C’est de la fantaisie, toujours. »
C’est aussi des romanciers
voyons
invités par Roland
Qui racontent
des histoires
autrement
Dans une langue qui invente
une langue
qu’ils trouvent
difficile à décrire
une langue vivante
pour échapper
Nouvelle vanité


On ne sait jamais

Parce qu’on n’a jamais su ;
Puisqu’on ne saura jamais ;
Par exemple, on ne saura jamais qui a cassé le vase de Soisson ;

Mais, à bien y réfléchir, on ne sait jamais. Il faut tenter le coup. Comme a dit Albert Camus : « La grandeur est dans la tentative ». C’est vrai, ça, si on se dit « on ne sait jamais… allons voir de plus près de quoi il retourne», alors, la noirceur n’est plus le seul horizon que déplorent beaucoup d’entre nous.
Tentons de comprendre donc, essayons de prendre la question à bras le corps, ou par le petit bout de la lorgnette. C’est selon l’humeur, ou par choix méthodologique. Car, parfois, l’essentiel demeure dans les marges, n’est-ce pas ?

Se rendre en esprit au bord du monde, à l’origine du monde, à l’horizon des évènements. Pas de clients pour le voyage ? S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. Même si je pense que tout le monde devrait connaitre l’origine du monde, je ne crains pas le cheminement en solitaire. Après tout « l’imaginaire est ce qui tend à devenir réel » disait André Breton.

Laissons de côté le vase de Soisson, ou du moins ce qu’il en reste sous forme de quelques éclats et concentrons nous sur le concept de bibliothèque hors les murs. Car, On ne sait jamais, il n’est pas certain à 100 pour 100 que la tentative débouchera sur un échec.

Allons voir les ouvrages déposés dans les boîtes à livres installées sur les trottoirs de nos villes, portons attention à cet artiste de Besançon qui distribue ses œuvres aux passants dans la rue, imaginons les éoliennes en moulins à vent, soyons Don Quichotte un instant, une fois au moins dans la vie.

Scène : « Clovis, tu me fends le crâne, à toi, Jeanne Hachette, Il te fait rien, il te fait rien ? » Déambulons dans les vide-greniers, relevons les titres de livres dont nous nous séparons à l’occasion du désherbage de nos bibliothèques privées. Nous gardons Hugo, Proust, Duras, mais aussi La veillée des chaumières parce que nous en possédons une collection reliée et, qu’après tout, comme dit Ella, il faut faire place à la littérature populaire.

Hypothèse : et si dans les coulisses de la circulation des livres commençait à se révéler la nature de la mutation de nos bibliothèques ? Le faible saignement actuel pourrait bien évoluer en une hémorragie de plein exercice. Nous y reviendrons, riches de notre expérience de lecteurs classiques et désormais ringardisés. Nous allons devenir en quelque lieu que nous nous trouvions des créateurs de textes incorporés. Tous capables, au cap Fréhel, à l’aplomb des falaises de Plouha, à la pointe des Guettes… de création littéraire par la vertu de MOTAMO (Manipulations et Opérations Textuelles Agencées par Micro Ordinateurs).

La poésie sera faite par tous. Non par un. (Isidore Ducasse)

Si tout le monde écrivait, qu’en serait-il des valeurs littéraires ? (Paul Valéry)


Saint-Brieuc, un sédiment littéraire ?

« La puissance de la baie ne vient pas du vent, pas du ciel, mais du sédiment. »
Au début de la 3ème partie de sa nouvelle Trésors, Lucie Taïeb écrit cette phrase. Enigmatique ? Pas tant que ça. Lors de la première matinée des rencontres de Rohannec’h, Alain Ponsero conservateur de la réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc nous a fait – à quelques mots près – la même révélation. Il a dit – plus exactement – que l’exceptionnelle richesse de la baie était due à la profondeur et à l’étendue de son sédiment
( la réserve naturelle fait 1140 hectares ).
Je ne peux m’empêcher de penser, par analogie, à l’histoire littéraire de Saint-Brieuc et à tous ces écrivains ayant vécu dans cette ville ou y étant passés et dont les œuvres parfois résonnent les unes avec les autres. En effet, il est fréquent que tel auteur écrit sur un autre qui l’a précédé. Peut-on aller jusqu’à dire que l’histoire littéraire de Saint-Brieuc s’est constituée peu ou prou par sédimentation ?
Allons voir de plus près. Remontons dans le temps et regardons comment les œuvres des premiers trouvent un écho chez les écrivains ou les artistes qui les suivent.

INVENTAIRE DES HÉRITAGES LITTÉRAIRES

  • JULES LEQUIER ( 1814 – 1862 ), philosophe né à Quintin et mort noyé à Plérin.

Plus tard :

1 – Dans son roman Le Sang noir, Louis Guilloux invente le personnage de Turnier inspiré de Lequier.

2 – Le philosophe Jean Grenier consacre sa thèse de doctorat à la philosophie de Jules Lequier.

3 – La poétesse Heather Dohollau évoque la figure du philosophe dans un récit intitulé

La Réponse.

  • VILLIERS DE L’ISLE-ADAM ( 1838 – 1889 ) Né à Saint-Brieuc et mort à Paris.

Plus tard :

Alexis Fichet s’inspire d’un des romans des Villiers, L’Ève future, pour écrire son roman L’Andréide (La Mer Salée 2021)

  • TRISTAN CORBIÈRE ( 1845 – 1875 ). Né et mort à Morlaix. Il passe deux années au lycée impérial de Saint-Brieuc en 1859 et 1860.

Plus tard :

1 – André Le Milinaire ( 1938 – 2019 ) professeur de lettres en collège à Saint-Brieuc publie en 1989 un essai sur le poète intitulé Tristan Corbière – la paresse et le génie. ( Champ Vallon )

2 – Fabienne Juhel ( née en 1965 ) écrivaine et professeure de lettres a consacré sa thèse de doctorat à Tristan Corbière et publié un récit inspiré par la vie et l’œuvre du poète intitulé :

La mâle mort entre les dents ( Bruno Doucey – 2020 ).

  • ALFRED JARRY ( 1873 – 1907 ) fut élève au lycée de Saint-Brieuc de 1879 à 1887.

Plus tard :

1 – En 2007, année du centenaire de sa mort, un collectif de passionnés dont Christian Prigent, Paul Recoursé etc… s’associent au Théâtre de Folle Pensée dirigé par Roland Fichet pour célébrer l’oeuvre et la vie de l’artiste. Sa pièce Ubu cocu, mise en scène par Annie Lucas, est interprétée en plein air en ponctuation de randonnées cyclistes.

2 – En 2023, un collectif d’acteurs culturels briochins organise plusieurs manifestations pour commémorer les 150 ans de la naissance d’Alfred Jarry. Pour l’occasion, Paul Recoursé traduit Ubu roi en gallo.

  • GEORGES PALANTE ( 1862 – 1925 ), philosophe, fut professeur au lycée de Saint-Brieuc.

Plus tard : Louis Guilloux s’inspire de Palante pour créer Cripure, personne principal de son roman Le Sang noir.

  • JEAN GRENIER ( 1898 – 1971 ) Philosophe. Il fait ses études au lycée Saint-Charles de Saint-Brieuc et se lie d’amitié avec Louis Guilloux. Sa thèse de doctorat porte sur le philosophe Jules Lequier. Il est aussi l’auteur d’un roman autobiographique Les Grèves ( Gallimard 1957 ).
    Il y écrit : « Ces grèves bretonnes, de contour indéterminé, où l’on ne sait si l’on a affaire à du sable, du rocher, de l’eau, de la vase, de la terre ferme, car tous les éléments y sont mêlés ensemble. Ces « éléments mêlés ensemble » une autre façon de nommer le sédiment !
  • LOUIS GUILLOUX ( 1899 – 1979 ). Né à Saint-Brieuc et y a grandi avant de partir à Paris. Il reviendra souvent ensuite dans sa ville natale et elle est au centre de plusieurs de ses romans, dont Le Sang noir déjà nommé mais aussiLa Maison du peuple, Le Pain des rêves, Le Jeu de patience, Coco perdu etc…) La ville de Saint-Brieuc et son paysage deviennent un motif incontournable de son oeuvre.

Plus tard : Roland Fichet adapte pour la scène le Sang noir sous le titre Boeufgorod.

  • HEATHER DOHOLLAU (1925 – 2013 ) poètesse d’origine galloise, vient vivre à Saint-Brieuc à partir de 1958. Elle y rencontre Louis Guilloux, qui lui présente Jean Grenier et par lui elle découvre l’œuvre de Jules Lequier. Le philosophe est le personnage principal du récit épistolaire La Réponse ( Folle Avoine 1982 ). En avant propos, Heather Dohollau écrit : « Je connaissais déjà sa maison à Tournemine et j’avais lu les pages de Louis Guilloux sur Turnier dans Le Sang noir et celle de Jean Grenier parlant de sa propre découverte de cette maison dans Les Grèves. Découverte qui fut peut-être à l’origine de ses magnifiques travaux sur Lequier. » Heather Dohollau illustre dans cette phrase à quel point la notion d’héritage, voire de filiation littéraire existe bien à Saint-Brieuc.
  • CHRISTIAN PRIGENT ( né à Saint-Brieuc en 1945 ). Écrivain.

Son père, Édouard Prigent, professeur de lettres, est un ami de Louis Guilloux. Il est aussi l’auteur d’un ouvrage consacré à Louis Guilloux paru en 1970 aux Presses universitaires de Bretagne. Christian Prigent se souvient des visites de l’écrivain à sa famille rue de l’Ondine à Saint-Brieuc.

L’œuvre romanesque de Christian Prigent a pour paysage quasiment exclusif la ville de Saint-Brieuc et ses environs : Grand-mère Quéquette, Demain je meurs, Les enfances Chino etc…

Dans Demain je meurs, le chapitre 16 commence par une évocation de Louis Guilloux mais aussi de Georges Palante.

Plus tard :

Le roman Grand-mère Quéquette ( POL 2003 ) est adapté à la scène. À l’initiative du Théâtre de Folle Pensée un collectif de 5 artistes ( Madeleine Louarn, Alexis Fichet, Julie Bérès, Charlie Windelschmitt et Annie Lucas de Folle Pensée) s’empare du roman pour le porter à la scène. La création a lieu au printemps 2006 au Centre Dramatique National de Lorient.

  • ROLAND FICHET ( né en 1950 ), auteur dramatique, directeur du Théâtre de Folle Pensée
    ( 1978 – 2018 ). Il rencontre Louis Guilloux en 1975.

Plus tard :

En 1982, Roland Fichet adapte à la scène le roman de Louis Guilloux, Le Sang Noir, sous le titre Boeufgorod. La pièce est créée à Rennes en juillet au festival des Tombées de la nuit et à l’automne à Saint-Brieuc sur le grand plateau ( baptisé salle Louis Guilloux ) du tout nouveau Centre d’Action Culturelle, inauguré au début de la même année par Jack Lang.

Le cabaret Sans faux col, créé par la compagnie Folle Pensée au début des années 80 et joué dans de nombreuses communes des Côtes d’Armor, reprend plusieurs extraits des Carnets de Louis Guilloux .

  • ALEXIS FICHET ( né à Saint- Brieuc en 1979 ) auteur, metteur en scène, acteur.

S’inspirant du roman L’Ève future de Villiers de L’Isle-Adam, Alexis Fichet écrit L’Andréide, roman paru en 2021 aux éditions La mer salée.