L’Assemblée Interprétative du 15 mai 2023
Programme

NOS FUTURS
Villa Carmélie, Saint-Brieuc 15 mai 2023
Avis aux exploratrices avis aux explorateurs de futurs !

15 mai 2023 à la Villa Carmélie – Rue Pinot Duclos 22000 Saint-Brieuc
Séances ouvertes à toutes et à tous – 14h30 – 16h30 – 18h30

Flyer du thème A
DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème A : De quel prix se payent les futurs qu’on se prépare ?
De quel prix se payent les futurs que je me souhaite ?

DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème B : Dans l’eau, sur l’eau, sous l’eau ça bouge … On va vers quoi ?

DES ÉCRIVAINES ET DES ÉCRIVAINS TRACENT DES LIGNES DE FUTURS
Thème C : Que vont devenir nos corps ? nos langues ?
Photos

Bilan
Agencement de notes prises par Roland Fichet pendant l’assemblée interprétative du 14 et 15 mai 2023. Les notes de RF sont articulées à des extraits de fictions lus pendant l’assemblée par des actrices et des acteurs, à
des textes lus par des participant.es et à des articles.
Contributions
Les sept merveilles de la baie de SB ( ou mes coins à champignons) / (et de la difficulté d’éviter les clichés, la carte postale touristique, le pittoresque, les accès lyrico-sentimentaux + de la difficulté de s’arrêter au chiffre 7) = la réserve inépuisable de la baie
- le balcon sur mer en granit ouvert à tous et parfaitement démocratique du poste de garde de la Guette sur le sentier qui va du port de Dahouët à Pléneuf-Val-André
- le tour du Coucou sur le GR 34, et la ligne de crête rocheuse qui descend vers la petite plage grise du Vau Madec ( où se tient un arbre mort décoré de coquilles d’huître qui étincellent au soleil)
- les bancs avec vue sur mer au dessus de Tournemine – s’y poser, ouvrir grand le regard et le souffle, rêvasser
- jaune colza sur bleu de Manche
- les cormorans juchés sur les rochers au large de Tournemine, leur silhouette noir de jais, et leur beauté seigneuriale quand ils ouvrent grand leurs ailes pour les faire sécher
- Tournemine, inlassablement sillonnée, toujours neuve, lustrée, ventée, vaste poumon où se réfugier et se retrouver
- la crique du Barillet près de Pordic, dont la difficulté d’accès rend le lieu aussi secret qu’une plage de contrebandiers
- l’amer blanc sur rochers noirs de Martin Plage
- l’ail aux ours dans la vallée de Tournemine lorsque les fleurs éclosent au printemps et forment un éclatant tapis blanc
- la plage de la Banche à Binic, lorsque le soleil fait miroiter la surface de l’eau d’une infinie présence scintillante
- l’estran immense et luisant à perte de vue les jours de grande marée – de Tournemine à Binic
- la présence conjointe du sédiment et de la roche, du prunellier en fleurs et du chêne vigoureux au tronc travaillé par le temps
- le sentier Shelburn qui conduit à la plage Bonaparte à partir de la maison d’Alphonse, et l’intense joie qui prend le promeneur quand la mer se devine et se découvre au travers des arbres
- la route des Falaises qui conduit à la pointe du Minard, son asphalte tavelée, son lichen mordoré, d’un orangé de giroflée, sa hauteur de vue et sa perspective ouverte sur la mer si vaste
- chez Paulette au Palus, pour le plaisir de prendre un verre dans la proximité de la plage, des falaises et du vent
- les toponymes en breton associés au français sur les panneaux à l’entrée des villes et des bourgs
- le mot breton « glazig » qui condense le bleu de la mer et le vert de la campagne
- les chevaux, et leurs cavaliers, qui s’élancent sur la plage, superbes, inaccessibles, privilégiés dans l’ivresse des sensations qu’une certaine altitude assurément vient amplifier
- l’orgie de mimosas qui saisit les routes côtières à la fin du mois de janvier et fait resplendir l’espace d’un éclat où se pâmer
- les falaises flanquées du flamboiement jaune vif des ajoncs au printemps
- la chapelle de Kermaria an Iskuit sur la commune de Plouha, pour son incroyable danse macabre et son humble vierge aux sabots noirs
- le cinéma Arletty à Saint Quay Portrieux, pour son nom, son enseigne lumineuse violette et désuète, et sa modeste mais vigoureuse présence
- le café de la Plage à Saint Quay Portrieux, avec la vue sur la plage du Casino, sa piscine d’eau de mer et la visite des mouettes avides et sauvages
- la Ville Robert et Marie Casagranda la magnifique, à Pordic, lieu de culture généreux, intelligent, où se raconte avec une libre fantaisie la joie du spectacle vivant
- le Tagarin à Etables sur mer, son poêle qui rassérène et la quiétude du lieu dans la compagnie des livres
- l’abbaye de Beauport pour sa nécessaire romantique poésie des ruines, ses trois dames de bois en plein conciliabule arrimées au mur de pierres dans le hall d’accueil, et ses jardins raffinés
- le vol d’une aigrette, et de tout oiseau marin que déloge notre approche sur la plage ( souvent en groupe, leur envol alors, qui chagrine autant qu’il ravit)
- le salut inattendu et renversant d’un dauphin qui jaillit hors de l’eau non loin du rivage
- les nuages, les « merveilleux nuages », – lever le nez et prendre la mesure de la texture du ciel-, nuages fantasques et capricieux, pour des éphémérides de vent d’ouest
- les tessons de verre polis par l’eau salée, et cueillis comme petites merveilles au fil d’une promenade marine
- le ciel quand il est d’un bleu somptueux, au dessus de la mer qui le lui renvoie bien
- les vaches ( ultimes ?) qui paissent du côté de la Ville Quéré sur la commune de Pordic, avec vue sur mer depuis leur champ
- le littoral encore préservé de la voracité des promoteurs immobiliers
- les talus qui résistent et ceux que certain.e.s redressent, les talus moussus, lierre et nombrils de Vénus
Les sept anti-merveilles de la baie de SB = vues repoussoirs - la RN12, et son pouvoir d’attraction qui nous rend tous imbéciles, la RN 12 anti-merveille absolue et redoutable ogresse
- les 62 éoliennes à côté d’Erquy – la mer industrielle qui nous prive d’un bon bout d’horizon– à moins de les considérer comme des moulins de mer
- toutes les zones commerciales à la périphérie des villes et bourgs – Langueux, Pordic, Binic – leur incommensurable laideur, leur non-existence qui nous tient hors-sol, et annihile la sensation d’un possible paysage
- tous les lotissements qui s’emparent des bourgs au mépris du patrimoine existant, obéissent à des logiques comptables et semblent ignorer la nécessité de conditions de vie favorables au bien-être des gens
- les dents creuses qu’il faut à toute force combler
- les plages recouvertes d’algues vertes, à chaque printemps plus tonitruantes, invasives, indélogeables
- l’atmosphère pestilentielle de la plage du Valais due à la présence de l’azote sulfuré dans l’air
- les rivières polluées par les pesticides et les nitrates, la disparition des poissons, les rivières qui n’inspirent plus confiance et n’invitent plus au contact
- les microplastiques que l’on ne voit pas et qui sont présents dans la mer
- le tourisme qui asservit l’économie locale
- les embouteillages monstrueux à l’entrée de Binic en pleine saison estivale
- les maisons secondaires aux volets clos toute l’année sauf l’été
- les maisons néo-bretonnes
- les usines à cochons des Côtes d’Armor et les usines à volailles que l’on ne voit pas mais qui sont bien là
- les grosses entreprises agro-alimentaires dont Cooperl à Lamballe et son éthique douteuse ( voir dossier sur le site Splann!)
- le bocage défait et les étendues agricoles livrées à la monoculture
Il m’est venu un poème, un poème écho à tous ces textes qui surlignent la seule négativité, de
l’effondrement, des catastrophes …dans le réel et dans les représentations du futur. L’expression
« aller droit dans le mur » n’a jamais été autant utilisée.
J’ai donc intitulé ce poème Le mur. J’ai aussi tenté de répondre à la proposition de Roland : faire
en sorte que nos écrits débouchent sur du projet, de l’action, une réalisation quelconque.
Voici donc ma proposition :
Imaginer sur le modèle du « Mur des lamentations » des murs sur lesquels ( à la surface ou dans
les interstices ) les gens puissent écrire, coller, afficher, peindre, introduire … leurs idées,
propositions, prières … produites par leur imagination.
Ce mur ou ces murs pourraient être fabriqués avec des briques de cellulose, durables ou
éphémères, fixes ou mobiles.
Le Mur
Voici que pour beaucoup
Toi parfois
Le futur apparait comme un mur
Comme une fermeture
Un mur à la place de la ligne fictive
De l’horizon
Un mur qui bouche la vue
Un mur tentation aussi
Tentation de frontière
Contre le voisin
L’autre
Devenu l’envahisseur
Le voleur
L’avaleur
Voici que pour certains
Moi certains matins
Le mot « futur»
Sonne et fait même fêlure
Que le mot « peur »
Que chaque ponctuation du présent
N’augure
Rien de bon
Disons rien d’autre
Que quelque chose de la mort
Voici que le futur
Ne rime plus avec « ouverture »
Sinon
L’ouverture de la boîte aux mensonges
Aux poisons
Pour bon nombre
Aujourd’hui
Chercheurs en écritures
Le poison en question
N’est autre
( ou son ombre )
Que le péché originel
Dont parle le veux récit :
La connaissance mise au service
De la violence
Ou plutôt par elle asservie
Beaucoup
Nous tous sans doute
Sont frappés par la course effrénée
D’une horde humaine
Dévoreuse
Aveuglée
Livrée à elle-même
En fuite
Épileptique
Derrière le bélier halluciné
Par sa propre panique
Et qui court se noyer
Mais quelques uns
De plus en plus
Restent sur le côté
En marge
Et gardent
Le rythme de la marche
Et allument une lampe de poche :
Un mot
Une note
Une couleur
Une encoche
Un geste de premier secours
Qui petit à petit
Rameute un archipel
Sur une conviction que quelque chose
D’autre
A du sens
Fait appel :
Un choeur
Pour accorder du souffle
Ouvrir le dedans du dehors
Et le dehors du dedans
Il y a la lucidité des savants
Il y a aussi la lucidité des naïfs
Et bien souvent
C’est elle
Qui a ouvert
L’utopie porteuse de transformation
Alors
Ce mur en question de futur
Devant nous:
Un mur de lamentations ?
Un mur de dénonciations ?
Un mur de mise à l’index ?
Ou non :
Un mur des imaginations
Pour répondre
De ses convictions
Car nul disait Saint-Ex
Ne peut se sentir à la fois
Responsable
Et désespéré.
Devant le Sphinge, il faut savoir répondre ou mourir. A la présence d’esprit s’oppose l’esprit de l’escalier. Comment répondre à l’énigme et, en quelque sort, lui retourner le miroir ? En ayant le temps du retour pour chaque mot qui est sur le bout de la langue devenu bout de papier : c’est écrire. Ecrire, c’est prendre le temps du perdu, prendre le temps du retour, s’associer au retour du perdu.
(…)
Pascal Quignard, Le nom sur le bout de la langue.
L’écriture du turfu
L’écriture du turfu
se disait-il
C’était déjà
Une mise en page
particulière
et un refus des codes
ou des contre-codes
Qu’on connaissait depuis au moins déjà
Hugo
ce punk incontournable
dont Rimbaud
autre punk devant l’éternel
pardons pour l’oxymore
reconnaisssait les talents de voyant
Plus que jamais
dès lors
l’écriture du turfu devait voler le feu
Ce n’est pas du …
c’est Arthur encore
l’écriture du turfu
c’est le
BLASPHèME
de la
Syntaxe
évidemment
BLASPHèME de la logique
BLASPHèME de la typographie
Du vers libre même
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME BLASPHèME
BLASPHèME
Paradoxe malin
Comment encore disloquer ce nouveau
Grand niais
Qu’on s’ fade depuis
depuis
Qu’on se fade
Vraiment depuis
Depuis Vl’a le Temps
Allégorie pour faire joli
Prosopopée pour
Pérorer
Futur Dieu pas beau dont le carbone nous menace
ET NOUS DIT
Ferme bien ta gueule
Vieux pleutre courbé sur ton CAC 40
Qui ne daignait rien voir
L’écriture du turfu
C’est qui
C’est quoi
C’est toi
C’est moi
Qui invente ou inventera
Pas à pas
ou inventera pas
Ce qui n’existe pas
Pas encore
Plus
Plus !
Avec un s
cette fois
L’écriture du futur
Automatiquement
« Est-ce de la poésie ? C’est de la fantaisie, toujours. »
C’est aussi des romanciers
voyons
invités par Roland
Qui racontent
des histoires
autrement
Dans une langue qui invente
une langue
qu’ils trouvent
difficile à décrire
une langue vivante
pour échapper
Nouvelle vanité
Parce qu’on n’a jamais su ;
Puisqu’on ne saura jamais ;
Par exemple, on ne saura jamais qui a cassé le vase de Soisson ;
Mais, à bien y réfléchir, on ne sait jamais. Il faut tenter le coup. Comme a dit Albert Camus : « La
grandeur est dans la tentative ». C’est vrai, ça, si on se dit « on ne sait jamais… allons voir de plus près
de quoi il retourne», alors, la noirceur n’est plus le seul horizon que déplorent beaucoup d’entre nous.
Tentons de comprendre donc, essayons de prendre la question à bras le corps, ou par le petit
bout de la lorgnette. C’est selon l’humeur, ou par choix méthodologique. Car, parfois, l’essentiel
demeure dans les marges, n’est-ce pas ?
Se rendre en esprit au bord du monde, à l’origine du monde, à l’horizon des évènements. Pas de
clients pour le voyage ? S’il n’en reste qu’un, je serai celui-là. Même si je pense que tout le monde
devrait connaitre l’origine du monde, je ne crains pas le cheminement en solitaire. Après tout
« l’imaginaire est ce qui tend à devenir réel » disait André Breton.
Laissons de côté le vase de Soisson, ou du moins ce qu’il en reste sous forme de quelques éclats et
concentrons nous sur le concept de bibliothèque hors les murs. Car, On ne sait jamais, il n’est pas
certain à 100 pour 100 que la tentative débouchera sur un échec.
Allons voir les ouvrages déposés dans les boîtes à livres installées sur les trottoirs de nos villes,
portons attention à cet artiste de Besançon qui distribue ses œuvres aux passants dans la rue,
imaginons les éoliennes en moulins à vent, soyons Don Quichotte un instant, une fois au moins dans
la vie.
Scène : « Clovis, tu me fends le crâne, à toi, Jeanne Hachette, Il te fait rien, il te fait rien ? »
Déambulons dans les vide-greniers, relevons les titres de livres dont nous nous séparons à l’occasion
du désherbage de nos bibliothèques privées. Nous gardons Hugo, Proust, Duras, mais aussi La veillée
des chaumières parce que nous en possédons une collection reliée et, qu’après tout, comme dit Ella,
il faut faire place à la littérature populaire.
Hypothèse : et si dans les coulisses de la circulation des livres commençait à se révéler la nature de la
mutation de nos bibliothèques ? Le faible saignement actuel pourrait bien évoluer en une hémorragie
de plein exercice. Nous y reviendrons, riches de notre expérience de lecteurs classiques et désormais
ringardisés. Nous allons devenir en quelque lieu que nous nous trouvions des créateurs de textes
incorporés. Tous capables, au cap Fréhel, à l’aplomb des falaises de Plouha, à la pointe des Guettes…
de création littéraire par la vertu de MOTAMO (Manipulations et Opérations Textuelles Agencées par
Micro Ordinateurs).
La poésie sera faite par tous. Non par un. (Isidore Ducasse)
Si tout le monde écrivait, qu’en serait-il des valeurs littéraires ? (Paul Valéry)
Je fais partie des lecteurs interprètes de la BDF, qui recherchons les points de contact
entre les fictions que nous y accueillons, et il y a un point qui n’a pas encore fait l’objet
d’un commentaire spécifique, mais qui revient régulièrement dans nos échanges, c’est la
peur, la peur que ÇA ARRIVE. Toutes les fictions donnent l’alerte sur ce qui, dans le
présent, menace notre futur, en faisant surgir un futur rendu-présent non pas « tourné
vers le pas encore » dont parle Paul Ricoeur, mais vers le déjà-là – que ce soit sur le plan
politique, social, environnemental, culinaire ou autre et qui fait carrément flipper.
Il y a des textes qui nous nous font peur parce qu’ils nous projettent in medias res –
directement – dans la catastrophe, autrement dit la fin, mais la fin de quoi après tout ? La
fin de ce qu’on vit là ? Ce qu’on subit et de qu’on fait subir au vivant – au pluriel et au
singulier ? J’ai parfois le sentiment que les auteurs sont des enfants qui jouent à se et à
nous faire peur pour que nous puissions penser et grandir mieux, vivre moins mal,
« mourir bio », pour reprendre le titre d’Alexandre Koutchevski. Une peur qui convoque en
chacun de nous, comme dit Roland, des énergies créatrices. Une peur non paralysante,
mais inspirante. Une peur qui met du sens là où il n’y en a plus.
Et il y a autre chose. Il y a dix jours, j’ai assisté à une rencontre avec la pneumologue et
lanceuse d’alerte Irène Franchon à la librairie Mots et Images de Guingamp. Elle venait y
présenter sa BD sur Le Médiator. Une des premières choses qu’elle a dite était que les
artistes avaient été les premiers à s’emparer de cette question – elle faisait allusion au film
d’E. Bercot… et à la pièce de Pauline Bureau… – les premiers donc à la soutenir dans sa
lutte contre le crime « chimiquement pur » des laboratoires Servier, que c’est à la
périphérie qu’elle avait trouvé des appuis… En apparence il ne s’agit pas de futur, mais
plutôt de dénoncer des crimes passés et présents, mais aussi la perte de sens, le
capitalisme, et c’est tout de même un combat qui intéresse notre avenir.
Cette notion de périphérie, de détour, est vraiment intéressante. En tant que lectrice, je
me suis souvent sentie entraînée dans des chemins que je n’aurais pas empruntés seule,
des forêts, des déserts, des îles, des jeux… Il y a beaucoup de jeu dans ces récits
prédictifs, ça passe beaucoup par le jeu – j’ai écrit un commentaire à ce sujet pour la BDF
-, donc je ne développerai pas ici – jeu de mots, jeu d’identité, situation cocasse, registre
de la dérision dans Infixés de Jean-Marie Piemme et dans Mourir Bio, scénario
catastrophe dans Bunkering de Frédéric Vossier, course poursuite dans le texte vidéoludique
Last Level de Julien Gaillard, éclatement du langage comme un grand éclat de
rire dans F.A.M. de Gildas Milin, comme des paroles dégelées pour entendre le monde
autrement, etc etc. On pourrait voir la BDF comme une zone de banlieue qui crée un
rapport de force avec ce qui – plus au centre – nous étouffe en prétendant nous rendre
heureux.
Cette peur, ce malaise, cette insécurité dans laquelle nous plongent les textes, c’est ce
détour absolument nécessaire, voire salutaire, pour lâcher prise et penser autrement.
Anne Le Baut, disti guée lectrice-interprète, évoque, à propos de Vendredi soir, « une
écriture de l’insécurité et de la résistance. Pour faire advenir les idées ». Ainsi Abandonner
de Fanny Mentré nous rappelle qu’il faut avoir plus que carrément peur du capitalisme ;
en 2015 le célèbre physicien Stephen Hawking disait “Ayez peur du capitalisme, pas des
robots”. Ce n’est pas Alexis Fichet, auteur de L’Andréide, qui dira le contraire…
Je terminerai en évoquant la réalisatrice et activiste Camille Étienne. Elle a une passion
pour l’océan, alors qu’elle ne sait pas nager, et elle a fait de la peur son moteur. Dans une
interview sur Télérama, elle invite à faire une place à la peur. « On doit flipper, dit-elle […]
sans peur, on n’évite pas le danger […] La peur doit absolument exister dans le débat
public, sans quoi on la relègue dans l’intimité. » De même que « l’éco-anxiété n’est pas
une maladie, mais une réponse saine à un monde malade », de même nos fictions sont
des pharmakoi qui nous vaccinent contre l’immobilisme, la morosité et le manque
d’imagination.
Donc, réjouissons-nous d’avoir peur.