L’Assemblée Interprétative du 27-28 mai 2024
Programme

EXTENSION DU DOMAINE DE LA PREDICTION
Villa Rohannec’h – Saint-Brieuc

EXTENSION DU DOMAINE DE LA PREDICTION
Lectures publiques à La Villa Carmélie
– TRÉSORS de Lucie Taïeb
– LES DÉCHETS (UNE ÉLÉGIE) de Alice Zeniter
Tables rondes
LUNDI 27 MAI – 9H30 À 12H30
TABLE RONDE N°1
L’EAU DU FUTUR – LA MER, LES RIVIÈRES, LES VALLÉES DU FUTUR, LES CORPS AQUATIQUES DU FUTUR
Dans les fictions prédictives de la BDF, l’eau est très présente. L’eau nous modifie et nous modifions l’eau. À Saint-Brieuc et dans les baies des Côtes d’Armor, l’eau prend mille formes, vers quelles métamorphoses nous conduit-elle ? Vers quels paysages ? Les éoliennes dans la baie ça raconte quoi du présent ? du futur? Et les récifs artificiels dans la baie de Plouézec ? Comment évolue notre relation à l’eau et aux récipients qui la contiennent et la transportent ? Les bateaux du futur. Les récipients du futur.
Des collectivités ont le projet d’installer des belvédères sur différents points de la côte. Quelles formes pourraient prendre ces balcons ? Peut-on imaginer de les concevoir et de les sculpter avec des briklivres d’écrivaines et d’écrivains inspirés par la mer : Virginia Woolf, Jack London, Melville, Ella Maillard, Tristan Corbière, Conrad, Hugo, Hemingway, Stevenson, Loti… Des balcons littéraires, ça ressemblerait à quoi ? Tremplins dans les nouvelles de la BDF pour cette table ronde : Trésors de Lucie Taïeb, Les déchets (une élégie) de Alice Zeniter, Or comme ordure de Frédéric Ciriez.
Point de vue d’une lectrice, Agnès Jacquesson : L’eau dans les fictions prédictives de la BDF, la couleur dans la BDF.
LUNDI 27 MAI – 14H À 17H30
TABLE RONDE N°2
LES ALVÉOLES DE CRÉATION LITTÉRAIRE : LES BRIQUES-LIVRES, LES MURSLIVRES, LES KAB (KIOSQUE ALVÉOLE BARAQUE)
La fabrication d’habitats littéraires construits avec des livres : module alvéolaire, kiosque, baraque. Ce sont des habitats-livres dans lesquels on écrit des livres. Comment édifier ces habitats ? Où ? Comment penser ce geste à la fois littéraire, architectural et écologique ? Avec qui le réaliser ? Quelle vision porte-t-il ? Présentation par Charles Ménage ( Innõzh ) de son étude technique sur la fabrication des briklivres et sur différents types d’agencements, de constructions. La briklivre, objet esthétique et littéraire : l’oeuvre d’un.e écrivain.e y est pliée et peut être dépliée à la demande. La briklivre est le module de base de l’habitat-alvéole, de l’habitat-kiosque, de l’habitat-baraque.
Les KAB GRIFFONS peuvent-ils devenir la signature de Saint-Brieuc? la signature de cette ville-littérature (Villiers de l’Isle Adam, Palante, Grenier, Guilloux, Jarry, Corbière, Des Forêts…)? Comment la ville peut-elle promouvoir et piloter un geste aussi innovant, radical et décoiffant ? Peut-on imaginer un quartier construit avec des briklivres ? L’île aux lapins ? L’île aux lapins peut-elle être pensée comme le quartier emblématique de la ville-littérature ? Tremplins dans les nouvelles de la BDF : Eden (les cloches brunes) de Waddah Saab, La réserve des choses de Claire Béchec, Kamplac’h BZH de Fañch Rebours, Vendredi soir de Alexis Fichet, Bunkering de Frédéric Vossier
Point de vue d’une lectrice, Anne Le Baut : Les îlots de fraîcheur poétique – L’expérience esthétique
MARDI 28 MAI – 9H30 -12H30
TABLE RONDE N°3
LA MÉTAMORPHOSE DES LIEUX D’ART ET DE CULTURE
Dans les fictions de la Bibliothèque des futurs les théâtres, les bibliothèques, les musées sont bouleversés, vidés, transformés, ré-inventés. Comment habiter ces lieux au XXIème siècle? Dans le paysage culturel national et territorial la situation semble figée : les institutions qu’elles soient permanentes ou momentanées (les festivals) embolisent l’éco-système culturel. Elles imposent leur modèle artistique et économique.
Par quelles représentations passer pour faire surgir d’autres modes de création, d’autres modes de production ? Quelles figures devons-nous sculpter pour secouer la hiérarchie des valeurs ? Comment redonner de la densité exploratrice au dialogue avec les collectivités, avec les forces politiques ? Peut-on encore partager des utopies avec des élu.e.s ? Le directeur d’un théâtre national a fait la proposition suivante à l’ensemble des personnels : les artistes seront dans cette maison les salariés permanents du théâtre, les autres personnels auront un statut instable, type statut d’intermittent. De tels renversements vont avoir lieu prophétisent des autrices et auteurs de la BDF. Au XXIème siècle, on va réinventer la façon d’habiter un théâtre, une commune, un département, une région, un pays. Tremplins dans les nouvelles de la BDF : Le musée vide de Lise Kervennic, manger la bibliothèque de Cyrille Martinez, On passe à autre chose de Roland Jean Fichet.
Point de vue d’une écrivaine, Lise Kervennic : la métamorphose de l’art.
MARDI 28 MAI – 14H – 17H30
TABLE RONDE N°4
IMAGINER L’INIMAGINABLE – NOMMER L’INNOMMABLE
Les puissances politiques écrasent les possibles ? pas tous ! elles écrasent les possibles qui n’entrent pas dans leur logiciel capitaliste. Nos sociétés sont travaillées par l’impatience, il y a tant de modes de vie à inventer, de frontières à exploser, de récits d’avenir à tisser, de langues à articuler. Mais que d’entraves ! Nous écrivons aussi des fictions pour arracher les barreaux de nos prisons mentales. L’audace de ces fictions qui désarticulent nos représentations de la réalité et en recomposent de nouvelles (souvent inachevées) nous fait du bien, nous redonne de la puissance. De la joie.
L’inimaginé nous titille, l’inimaginable comment l’imaginer ? Faire ce bond quel effort, un effort d’écrivain ! Et il a plusieurs faces cet inimaginable auquel les mots (la poésie) peuvent donner figure furtive. Certaines de ces faces sont redoutables, nous le devinons, nous immobilisent-elles ? Ce monde, notre petit monde européen, manque de représentations de l’avenir. La fiction a-t-elle une chance de faire son œuvre dans nos sociétés et nos modes de vie normés, surdéterminés, balisés, cadrés ? Les mots performent le réel. Nous emparons-nous de ce pouvoir ? Qu’en faisons-nous ? Que signifie nommer l’innommable ? Tremplins dans les nouvelles de la BDF: Tétraktys de Marie Dilasser, Rosa Rosa Lind de Marion Stenton, Abandonner, qu’est-ce que tu t’imagines de Fanny Mentré, Le repos du tigre de Stéphane Nappez, Infixés de Jean-Marie Piemme, Rudimenteurs de Alexis Fichet, Dans les jardins d’Électropolis de Lancelot Hamelin.
Point de vue d’un lecteur-écrivain : Louis Bocquenet
Photos

Bilans
culture, d’autres adjoints), des élu.es du Conseil Départemental, de SBAA, des maires (4), des entrepreneurs, des responsables de structures culturelles (Musée, bibliothèques, écoles, compagnies de théâtre).
LUNDI
L’eau du futur – la mer, les rivières, les vallées du futur
Langage, fiction, nature
Tétraktys de Marie Dilasser, Déchets (une élégie) d’Alice Zeniter, Trésors de Lucie
Taïeb,
Rosa Rosa Rosa Lind de Marion Stenton, Dernières sommations de Vincent Guédon
***
Comment échapper à la solastalgie, comment réenchanter notre rapport au
paysage ?
D’où vient le saumon ? Celui qui regarde la mer doit avoir des yeux derrière la tête pour voir d’où viennent le Douvenant, le saumon, l’anguille… pour savoir d’où l’on vient (les trois rivières dans Trésors). Pour l’instant le Douvenant traverse une décharge, l’enjeu du schéma d’orientation paysagère est de retrouver son parcours
initial.
Le goëland mute, vit sur les déchetteries. Quelle action positive pourrait-il avoir sur nos déchets ?
Les carcasses de bateaux pourraient devenir des œuvres d’art habitables
Il peut y avoir frottement entre écologie, esthétique, lieu habité : qu’est-ce qu’on fait des zones non esthétiques ? Est-ce qu’il faut construire une déchetterie dans son bourg pour limiter le nombre de maisons secondaires ?! Si l’on considère le lieu comme une personnalité juridique et littéraire, jusqu’où peuvent aller les droits de
la nature ? Qui interprète ces droits ? La sanctuarisation est une impasse.
On a peur de la fin du vivant. Petit à petit on a cessé d’être partie prenante de la nature pour la considérer comme un décor. Or la nature c’est nous, l’écologie en a fait prendre conscience (slogan « Nous sommes la nature qui se défend »). Tout ce qui est vivant parle. Les arbres forment une collectivité qui parle à travers le
mycélium et les odeurs. Tous ces langages méritent d’êtres traduits les uns après les autres (Jouer la nature, Alexis Fichet). L’écologie est une science, pas une opinion. Il faut trouver la convergence entre fiction et récit scientifique.
En fait on ne panique pas assez. Tout ce que la nature nous dit a été prophétisé mais on refoule le huitième continent. Pourquoi a-t-on choisi telle ou telle direction ? Les éditions de La mer salée n’acceptent que des fictions positives.
Il faut alerter sur la condition de l’homme. La nature n’a pas besoin de nous pour survivre. Est-ce que Gaïa aurait intérêt à ce que l’homme disparaisse ? Le vivant survivra mais on éprouvera de la tristesse pour les disparus.
MARDI
La métamorphose des lieux d’art et de culture
Imaginer l’inimaginable
Manger la bibliothèque de Cyrille Martinez, Le Musée vide de Lise Kervennic, On passe à autre chose de Roland Fichet.
Eden (les cloches brunes) de Waddah Saab, Kamplac’h.bzh de Fañch Rebours, Rudimenteurs d’Alexis Fichet, Tétraktys de Marie Dilasser.
***
Avec 190 nouveaux titres édités par jour, les bibliothèques font de la gestion de flux . Il faut faire des choix entre des auteurs interchangeables.
Tous nos outils sont ceux du XXè siècle. Les mots « bibliothèque » et « musée » sont chargés de sens. Faut-il les changer ? Quand la Bible tient dans un cheveu, à quoi ressemblera une bibliothèque en 2050 ?
En tant qu’institution culturelle de la société capitaliste, elle est déjà un lieu de mise en activité permanente dans des temps courts, en lien avec des capacités d’attention de plus en plus réduites.
La résistance viendrait de la lenteur dans des espaces de vibration particulière : KAB (kiosques alvéoles baraques) , bateaux-livres, quartiers flottants consacrés à la lecture.
L’expérience concrète (rentrer physiquement dans le tableau) n’est pas la panacée, le musée numérique (les Micro-Folies) non plus. Le créateur d’exposition a pris le pas sur l’artiste, le medium sur l’œuvre.
Sans processus de symbolisation, la question de l’émotion esthétique, voire mystique, est évacuée. Pas de transcendance, pas d’altérité.
Téraktys : Les fictions remettent de la porosité entre les choses, entre les êtres par les logiques combinatoires de la langue. Notre unité est de toute façon illusoire.
Rudimenteurs : Les fictions rendent visibles les choses cachées (les déchets, la pollution à rendre lisible pour le futur).
Eden : Les fictions installent les traces de l’action future (les communautés).
On vit dans des fictions et on ne vit pas dans les mêmes (un humain, une ville, la Bretagne , le christianisme, les climatosceptiques, la BD adaptée de l’Etranger).
Et pour finir …
Qu’est-ce qu’on aimerait voir advenir ? De façon urgente. Qu’est-ce qu’on
attend des écrivains ?
– Des enfants multilingues.
– Plus d’empathie.
– Les femmes au pouvoir. Essayer autre chose (les femmes ne font jamais la guerre).
– De la puissance plutôt que du pouvoir.
– La joie !
– Il nous faudrait apprendre à vivre avec le principe d’incertitude, avec des moments
de fraternité.
– Que la BDF essaime dans la société, que la place de la culture soit celle du
questionnement dans la société.
– Se forcer à ne pas noircir tout le temps le tableau, exprimer plus de joie.
– A contrario, nommer la cruauté.
– Planter de jeunes forêts.
– On a vraiment besoin de cet imaginaire positif.
Il a ensuite été question de rapport au temps, puis on en est venus à parler
d’identités sexuelles, et des mots ont surgi.
– Diversité.
– Rencontre.
– Il faudrait imaginer une suite où des gens témoignent de quelque chose qui leur a donné de la joie, que nous soyons pluridisciplinaires {…}
– On a réhabilité la pensée, on a rempli notre besace. Comme à la fin du Nom de la rose, il faut qu’on accepte l’idée que la bibliothèque brûle toute entière.
– Notre rapport à l’art est compensatoire. Avoir du temps.
– Ici c’est une maison-atelier.
Contributions
Suite à l’accueil par la Villa Rohannech de l’assemblée interprétative publique organisée par la Bibliothèque des futurs les 27 et 28 mai 2024, deux lectrices interprètes ont rédigé le texte suivant :
La villa inspirante
« en un temps que je n’aurais su situer dans le passé ou dans le futur »
(Trésors, Lucie Taïeb)
Rohannec’h, côté sud : la RN 12, son bruit, sa vitesse, ses mange-bitume. Et de Brest à Rennes, la même désolation des terres remembrées dont on aimerait pouvoir dire un jour : ça, c’était le monde d’avant.
Rohannec’h côté nord : une vue encadrée sur la mer, parfaite jusqu’à la côte de Penthièvre enveloppée dans un sfumato breton. Aspirés par l’horizon, on en oublierait presque derrière chaque rideau d’arbres les algues vertes à l’est, les éoliennes à l’ouest.
Nous entrons dans la villa comme dans le coeur d’une rose des vents, aucune route n’est tracée d’avance, la carte est entre nos mains.
La villa Rohannec’h est un lieu idéal qui sublime l’événement, conduit les gens vers l’aménité et l’envie de partager, un lieu inspirant qui, par l’intelligence d’une restauration volontairement inachevée, crée des lignes de tension, ouvre l’espace du désir et du questionnement.
Dans le salon principal où se tient l’assemblée, on traverse le miroir pour enfanter des chimères. Sous le plafond zébré de lignes électriques qui forment un rhizome céleste, entre les vastes miroirs, les visages se réverbèrent, allument un beau foyer joyeux et bondissant. Autour de la grande table, le grand tissu des voix se compose, trouve ses silences, ses reprises, ses motifs singuliers, son éclat, sa profondeur.
Et c’est en ces lieux que notre chimère a pris forme : au matin du premier jour , elle regardait la mer avec des yeux derrière la tête. Elle voyait le Gouët, le Gouëdic, le Douvenant. L’après-midi deux autres oreilles lui avaient poussé. Elle entendait les saumons, les anguilles, les arbres aussi. Le lendemain, son cerveau s’était dédoublé.
Elle parlait désormais deux langues à la fois. Au soir du deuxième jour, elle nous quittait, embarquée dans un lent bateau-livres. Elle rejoignait Hillion, Binic, Paimpol, Erquy.
Stimulante maison-atelier qui a accueilli en ses murs cet autre chantier permanent qu’est la BDF.
Anne Le Baut et Katell Floch