L’Assemblée Interprétative du 9 Mai 2022

INVITATION

NOS FUTURS – PAR LA BIBLIOTHÈQUE DES FUTURS 

Lundi 9 mai à la Villa Carmélie
De 16h à 20h en deux parties: 16/18 et 18/20
Séances ouvertes à toutes et tous.
Depuis plusieurs mois, secoués par l’irruption dans nos vies de l’impossible – le virus, la guerre – et par le climat politique, nous avons voulu réagir. Nous avons construit un lieu, la Bibliothèque des futurs, et une méthode : la passage par la fiction. Nous croyons dans la puissance de l’imagination. Nous croyons dans la force de représentation de la fiction. La fiction a souvent un coup d’avance. 
Vers quoi dérivons-nous?
Quels sont les visages du futur? 
Des écrivaines et des écrivains ont écrit pour la B.D.F. des nouvelles, des récits, de courtes pièces de théâtre. Ils mettent en mots et en images LES TRACES DU FUTUR dans nos actes, dans nos langues, dans nos modes de vie.
Vivons-nous à notre insu des métamorphoses, de petites et grandes métamorphoses? 

Le 9 mai, de 16h à 20h, à la Villa Carmélie de Saint-Brieuc, nous entendrons des morceaux choisis de 10 fictions qui mettent en scène des futurs. À partir de ces fictions nous imaginerons ensemble des devenirs. Nous co-construirons des possibles. 
Les extraits seront choisis dans les oeuvres suivantes : Or comme ordure de Frédéric Ciriez, Mourir bio d’Alexandre Koutchevsky, L’Andréide et Rudimenteurs d’Alexis Fichet, Infixés de Jean-Marie Piemme, F.A.M. Femme Animal Machine de Gildas Milin, Eden (Les cloches brunes) de Waddah Saab, On passe à autre chose de Roland Jean Fichet, Bunkering de Frédéric Vossier, Last level de Julien Gaillard, Rémie de Léa Schweitzer. La plupart de ces textes sont déjà mis en ligne sur le site. 

Roland Fichet, Annie Lucas, Anne Le Baut, Bernard Étienne, Alexandre Solacolu 


L’art d’habiter, l’art d’hériter, avatars

Chères et chers écrivaines et écrivains, 

Lundi 9 mai s’est tenue une assemblée grand format de La bibliothèque des futurs au conservatoire de Saint-Brieuc-Villa Carmélie. De 16h à 21h quelques cent personnes ont pris place dans une vaste et agréable salle qui fut une chapelle. Six actrices et acteurs ont lu avec précision et rythme 14 passages des nouvelles et pièces envoyées par les écrivaines et écrivains. Les textes ont résonné très fort. L’articulation poétique/politique a tracé des lignes de sens et découpé des espaces de pensée qui ont nourri les interventions des participants. Des participants nous proposent d’écrire leurs notes, nous déposerons ces articles dans la lucarne Assemblées interprétatives du site de la BDF. 

Parmi les thèmes abordés: L’art d’habiter présent sous diverses formes dans les nouvelles et pièces a jeté des passerelles entre plusieurs plans.
L’art d’habiter un territoire : les paysans et maires de communes rurales présents ont développé ce point.
L’art d’habiter son corps : poussé par un thérapeute, ce thème a suscité des points de vue sur le genre, l’infixité (Infixés de JM Piemme), la génération, l’amour, les figures du sexe, la séparation (Les dernières pages de Eden – les cloches brunes de Waddah Saab). Même le mot inconscient a réussi à s’infiltrer.
L’art d’habiter le mondemise au point tranchante d’une femme guadeloupéenne sur la propension de l’homme blanc à parler au nom de la terre entière.
L’art d’habiter la littérature a eu du mal à tenir son rang dans le débat mais a nourri des conversations denses pendant les pauses et plus tard dans la soirée – et le lendemain- entre des autrices, des auteurs (huit étaient présents) et le directeur d’une revue littéraire. La littérature comme déchet, comme entreprise de recyclage des mots et des formes, comme trace des futurs passés et à venir, comme dragueuse de l’indicible, comme explosion, comme machine à produire du symbolique. 

Autre thème : L’art d’hériter et l’art de ne pas hériter. Le chateau de Goering reconstitué ( Bunkering – Un jour, dans la vie de Frédéric Vossier nous a mis sur le chemin de l’histoire longue et de l’héritage du XXème siècle qui ne passe pas, qui ne passe décidément pas, qui revient sans cesse. L’héritage, question politique et psychique, le poids des assurances, l’envie de jeter par- dessus bord toutes les assurances ( Chercher le charme de Léa Schweitzer) ont carrément débouché sur l’hypothèse, envisagée comme une solution, de la disparition de l’humain pour sauver le vivant, hypothèse avancée par une écrivaine directrice d’un festival du livre. L’humain et le vivant, l’humain avec tout ce qui vit, l’humain et ce qu’il détruit, les algues vertes dans la baie de Saint-Brieuc…Comment agir? Avec qui? Que peuvent la poésie, la littérature? 

Shakespeare a été appelé à la rescousse: « La sécurité est la plus grande ennemie des mortels»  (Macbeth). Et R.M. Rilke: «L’avenir doit pénétrer en vous bien avant qu’il se produise.»
Un sociologue s’est agrippé à la question qui surgit dans le dixième combat de F.A.M. Féminin Animal Machine de Gildas Milin : «Est-ce qu’on aurait pu dès ce moment-là améliorer quelque chose dans cette prise de conscience? Encore une fois est-ce qu’on aurait pu changer quelque chose dans ce changement même au moment où je le vivais? » 

Piste évoquée et à creuser : deux mondes s’éloignent chaque jour davantage l’un de l’autre et se déploient séparément: un monde centré sur le territoire, le local, l’écologie et un monde obsédé par le développement d’une science de plus en plus puissante dont le symbole est, ces années-ci, Elon Musk ( Dans L’Andréïde d’Alexis Fichet Elon Musk est mis en scène sous le nom de Roman Tesla). 

Autre thème: La multiplication des avatars, des fantômes, des faux profils dans la fiction CF L’Andréïde et dans la réalité: la fabrication par la propagande russe d’une foule de personnes fictives sur les réseaux sociaux pour façonner les opinions et instiller un discours pro-Poutine. Une nouvelle conception du peuple assurément. 

Un garagiste ému a demandé à ré-entendre quelques lignes qui se trouvent à la toute fin de Last Level de Julien Gaillard: « L’oubli est un délice, et je m’y enfonce comme, enfants, nous jouions à disparaître dans les buissons de groseilles. Le cheval est là. Tu le vois? Arrivé au bord, je ne recule pas. Il est temps. Il est temps et je tremble. Je vais quitter la ville, passer la porte, et la boue giclera sous mes semelles. » Quelqu’un a dit, citant On passe à autre chose, que le cheval nous avait accompagné toute l’après-midi. 

Nous avons ouvert les séances de 16h et de 18h par le passage de Or comme ordureune des nouvelles de récits B de Frédéric Ciriez  qui inscrit d’ores et déjà la bibliothèque des futurs dans la littérature, en effet récits B est édité par les éditions Verticales-Gallimard. Juste après Or comme ordure, le premier texte qui est sorti du chapeau est Mourir Bio de Alexandre Koutchevsky. Tout un programme. 

Voici, écrivaines et écrivains, un bref aperçu des échanges de cette assemblée passionnante.
Les actrices et acteurs de cette première assemblée interprétative grand format: Nikita Faulon, Jeanne François, Alexis Fichet, Frédéric Grosche, Ghislain Lemaire, Juliette Pourquery de Boisserin. 

Bon printemps! Avec mes amitiés, Roland Jean 


Qui est autorisé à penser pour l’humanité ?

Chers ami.es,
Grand merci de nous avoir invités à cette « porte ouverte » qui nous permet de respirer dans ce riche espace que vous avez créé et vous (nous) permet de sortir des limites d’un entre-soi.
Le choc des textes tirés au hasard (?) était très intéressant, la prestation des comédien.nes excellente ; l’assemblée interprétative reste un défi, avec ses moments de grâce (heureuse irruption de l’intervention de François) et ses silences (« le silence est fait d’autres choses que ce que l’on ne dit pas« ), mais il mérite d’être posé.
Votre entreprise remue beaucoup de choses. « La vie, mélange de fictions et de vécu » : il faut aussi y ajouter les machines que nous inventons pour appréhender et conduire la vie – j’inclue les dispositifs, les règles, les rituels, les religions dans les machines – vous y avez explicitement intégré le numérique. Les assemblées interprétatives procèdent de cet ordre. Faut-il aussi y ajouter la pensée ? (« les Blancs pensent trop »).
Roland disait la difficulté de se projeter dans le futur. Nous en parlions au retour dans notre co-voiture : cette difficulté n’existait pas tant que l’horizon du progrès paraissait infini (revoir ou relire les projections optimistes que l’on faisait dans les années 50/60 sur le monde en 2000) et la question n’était pas à l’ordre du jour avant les temps modernes ; Foucault analyse bien cela dans Les mots et les choses : les questions existentielles se distribuaient différemment. C’est donc bien une difficulté du moment.

Je retiens (entre autres), du 12ème combat de FAM : « la question aujourd’hui : est-ce qu’il aurait fallu…? » que je relie à l’interrogation de cette participante sur la façon dont s’était enclenché l’engrenage de l’agriculture productiviste. Il lui a d’ailleurs été très bien répondu, notamment par l’un des comédiens et par le frère de Roland : la question première a été, après la guerre, celle de la sécurité alimentaire. La question toujours actuelle est celle de la rémunération du travail des paysans, qui les a précipités dans les solutions proposées par les conseillers des chambres d’agriculture et le Crédit agricole à la fin des années 50, puis par les firmes liées à l’agrobusiness et la mue des coopératives : réduction de la pénibilité du travail et espoir de profit. Relire l’histoire de Gourvennec. Celle d’André Pochon aussi. Et puis on s’est pris les pieds dans la PAC. Est-ce qu’il aurait fallu faire autrement ? Sans doute, mais on ne peut pas revenir en arrière. La question utile est de se demander s’il faut faire autrement aujourd’hui. Elle se pose au présent pour l’agriculture et pour l’alimentation sur l’espace africain où je vois se reproduire le dilemme des paysans bretons à l’aube de la révolution agricole. Nos réponses vertueuses d’aujourd’hui ne sont pas celles auxquelles aspirent les femmes et les jeunes des campagnes africaines. Et là j’ai trouvé extrêmement pertinente l’interpellation que j’aurais aimé relancer de cette participante antillaise : Qui pense pour qui ? Qui est autorisé à penser pour l’humanité ? C’est une question qui me taraude. J’ai travaillé récemment avec un ami chercheur sur la mémoire dans le monde du développement et cela m’a amené à plonger dans mes archives pour en dégager une sélection de textes et d’articles que j’ai écrits depuis cinquante ans et d’en dresser une sorte de catalogue pour les mettre à disposition, sous forme de « mélanges », de celles ou ceux que cela intéresserait. Je vous joins pour les partager avec vous les dernières pages de ce catalogue qui cherchent à le projeter vers le futur. Elles se situent dans la même perspective que le propos de cette intervenante. 

Dernière réflexion. Il y avait dans votre invitation une piste intéressante qui n’a pas pu être explorée hier : « Vivons-nous à notre insu des métamorphoses, de petites et grandes métamorphoses ?« . Nous avons eu chacun de notre côté, Yolande et moi, le même flash à ce sujet : quel est le sens de la métamorphose de cet espace de la villa Carmélie où nous nous sommes retrouvés ? ou de celle de la caserne Charner ? ou de la prison de Guingamp ou de celle de Clairvaux ? Voilà qui relance sur la question de l’Histoire de l’ami thérapeute (qui ne m’a cependant pas complètement convaincu), sur celle du sacré, et celle – absente de nos échanges – du profit (Novotel a un plan de réinvestissement luxueux du patrimoine, sans états d’âme). 

Voilà donc, en guise de contribution marginale à la bibliothèque.
Avec encore toute notre amitié en vous redisant la richesse qu’elle nous apporte. 

Loïc et Yolande


Une personnalité juridique pour la baie de Saint-Brieuc

Bonsoir Roland et Annie, 

Sans doute connaissez-vous, mais voici mes petites pensées rebonds, telles que sollicitées par Roland. 

Lorsqu’il a été question, lors des échanges, de ce que nous pourrions faire concrètement pour préserver la baie de Saint Brieuc, et notamment pour régler le problème des algues vertes, j’ai pensé d’une part au rôle majeur joué par Inès Léraud, cette journaliste pugnace qui a révélé les dessous implacables de cette affaire à travers la bd « Algues vertes, l’histoire interdite », d’autre part au Parlement de Loire, ce formidable projet initié par l’écrivain Camille de Toledo, qui, à l’intérieur du Polau, laboratoire de recherche à la confluence entre l’aménagement du territoire et l’art, destine une identité juridique à la Loire, afin de défendre ses droits. Cette démarche initiée dans différents pays me paraît passionnante ( et elle a le mérite de déplacer nos lignes, même si ce sont toujours les êtres humains qui parlent à la place de la Nature, mais il y a là une forme de reconnaissance qui n’est plus seulement poétique, qui s’implante dans un domaine légal) et cela peut donc constituer un levier majeur pour un rapport plus juste et plus conscient avec notre environnement.

Ne pourrait-on pas alors imaginer que la baie de Saint Brieuc à son tour soit pourvue d’une personnalité juridique ( la baie comme sujet de droit pourrait ainsi porter plainte) ? Je ne saurais aller beaucoup plus loin dans cette réflexion, mais il me semble qu’il y a là un angle d’approche vraiment stimulant à explorer, d’autant plus qu’il s’articule aux arts et à la littérature en particulier ( le paysage comme matrice des récits à venir ne peut se constituer que parce qu’il est dépositaire des récits qui forment son histoire). 

Merci pour cette invitation à la Villa Carmélie, c’était vivant, intéressant, et riche de voix diverses, dans ce beau lieu où projeter un peu de « transcendance » sur les vitraux de couleur. 

Katell 


Mourir e.bio ou pas

Pasteur a inventé la rage, Freud a propagé l’angoisse.
Le mal, profitant de l’estompage des frontières entre le vrai et le faux, est bien présent : la peur de devenir un hologramme.
La tentation de virer au véganisme.
L’horreur à l’idée d’une baie saturée d’éoliennes.
Le sentiment d’impuissance face à tant de déchets…et d’algues vertes.
La crispation obsessionnelle devant la perspective du grand remplacement.
La fébrilité avant de découvrir le montant de sa taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
L’addiction pathologique aux réseaux numériques.
La perplexité et même le doute envahissant devant le concept de maisons réversibles.
L’hésitation sur le choix du genre.
Les vaccins inventés par des forces du mal.
Le sexe sans jamais le désir de descendance.
Le virus du covid dispersé par un savant fou déguisé en pangolin.
L’écriture neutre sans libre cheminement. 

Et pourtant : Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues »*, ou bien mal rêvées. 

Les déchets ? 

Ce sont tous les laissés-pour compte. 

Qui n’apparaissent surtout pas dans le bilan financier des banques et des places financières. 

Les déchets, ce sont les marginaux du monde globalisé. 

Aux périphéries du village-monde errent les relégués. Maintenus à distance par des murs de barbelés réels ou fictifs. 

Sous nos yeux. Mais sans égards, loin de nos regards. Loin de nous. Et pourtant si près. Invisibilisés. 

Broyables sont les auteurs, imbroyables sont leurs œuvres. Et d’autres émergent qui les prolongent et les renouvellent. 

Face à de telles dérives des continents obscurs de nos consciences, élever des digues ? Eriger un grand barrage ? 

May be, or not ?
But don’t forget : small is beautiful ! 

Il s’agit de combattre, et ce n’est qu’un début !
« Donnez-moi un levier et un point d’appui, et je soulève la monde »**
Nous étions des enragés.
Ils sont des angoissés.
Nous tous, sommes censés savoir d’où nous venons. Mais où donc allons-nous ? 

Et pourtant, nous sommes. Résilience, vous avez dit résilience. 

*Annie Ernaux , Le jeune homme
**Albert Einstein

 


Échos

« Comme dans Fahrenheit 451 » . Mourir bio

Est-ce que tu crois que le texte que nous disons, là, quand plus personne ne le lira, quand il n’y en aura plus aucun exemplaire -ou quand tout le monde aura oublié où se trouve le dernier exemplaire- quand toutes les personnes de cette assistance auront disparu sans avoir pipé mot de ce texte à leurs descendants, est-ce que ce que je suis en train de dire, là, sera définitivement hors d’usage ? Mourir bio

Seize figures de la littérature foutues dehors. On s’en va.
Pour toujours ?
On passe à autre chose.

Il a appris à lire. Il a écouté, pendant de longues soirées de rassemblement, les récits des rudimenteurs réputés, les relectures solides, et aussi celles dont on se moque. Il y a du plaisir quand les hypothèses ressemblent au délire, quand l’invention est visible. La tête de Naphta déborde de prémisses et de fragments imaginaires, de mondes disparus aussi mal tissés que les rêves.
Rudimenteurs.

LE DIRECTEUR.- Mesdames et Messieurs, bonsoir, troisième et dernière représentation- performance du cycle METAMORPHOSE DU THEÂTRE. La cérémonie d’évacuation finale. Hé oui, on évacue les écrivains des théâtres. Ils n’ont plus d’utilité, ils encombrent, ce sont les déchets d’une culture révolue.
On passe à autre chose.

Damien – Et qui c’est-y qui fait la collecte, le tri et le recyclage du langage ? Chloé – Les auteurs.
Mourir bio.

Je dis à Simonet : « Qu’est-ce ? » Il répond : « La Bibliothèque des futurs. » Je dis : « J’adore lire ! Elle ouvre quand ses portes ? » Il dit : « Elle est déjà ouverte. »
Or comme ordure

Elza Raymond, fiction-thérapeuthe. Oh, moi, j’accouche des histoires qui gisent au fond de vous. Sans imagination, la médecine s’effondre, épuisée par la science. Ce n’est pas la réalité qui dépasse la fiction mais la fiction qui produit la réalité. Les histoires guérissent tous les enfants le savent ; Oh oui, tous les enfants le savent.
On passe à autre chose

Chloé – Et tous ces enfants mangeurs de livres ?
Damien – Seront d’excellentes sources d’encre pour les imprimeurs à petit budget.
Mourir bio

Un monde de déchets et de tornades, sans mémoire, sans histoires, ça n’est pas pour lui.
Rudimenteurs.

Cocteau, Robert Capra, Ingrid Bergman, Scott Fitzgerald, Coco Chanel, Colette, et j’en passe. Des grands morts offrent leur services, ils font partie de la maison ; Le souvenir de ce qu’ils ont été hante les couloirs, nous sommes disponibles, disent-ils, attentifs, accueillants. Morts, nous voulons encore être joyeux, rire, pleurer, avoir des soucis. Nous n’existons plus, rendez-nous la vie. Infixés.

Ces poètes, ces écrivains ne haïssent-ils pas tout le monde , ne sont-ils pas les apôtres masqués de la dissolution de l’espèce humaine ? Des bibliothèques entières en nourrissent le soupçon, osons le dire, en apportent la preuve.
On passe à autre chose

« Le chaos règne ». Rudimenteurs

Chloé – Trois-cent-cinquante et une mille tonnes de déchets pour un coût approximatif de traitement de vingt et un millions d’euros, les couches jetables représentent quarante pour cent des déchets ménagers d’un foyer ayant un enfant entre zéro et deux ans, c’est-à-dire nous. Pour un seul enfant, les couches jetables représentent quatre arbres et demi, vingt-cinq kilos de plastique obtenu grâce à soixante-sept kilos de pétrole brut.
Mourir bio

Et je dis qu’il n’y a plus de frontière entre la science-fiction et la réalité sociale !
F.A.M.

Ciel bleu profond, chaleur étouffante : ce sont les signes annonciateurs des tornades. Pendant des heures la température ne cesse d’augmenter, insupportable, puis le ciel devient gris, puis noir, enfin le vent et la pluie apportent furie et fraîcheur. Tout est retourné, sens dessus dessous, on sort des caves où l’on s’était tapis pour contempler les vagues de déchets reformées ici ou là, une nouvelle géographie du Land.
Rudimenteurs

« Je m’appelle Mathieu…C’est moi qui alimente la photothèque des déchets refusés de Kerval… » Il me montre successivement, déposés au seuil de la fosse des ordures ménagères le cadavre d’un crocodile adulte, un obus, un bidon de cent litres d’acide chlorydrique, une momie, des rouleaux d’amiante et…une tête humaine – un homme avec des moustaches sévères en forme de fer à cheval incliné vers le haut.
Or comme ordure

Quand je pense au moment de ma vie… Où tout a si subitement basculé…
A tous ces événements…
Je ne sais pas comment l’exprimer…
J’ai juste le sentiment qu’un sens profond se cache… En toute chose…
F.A.M.

Bon alors comment ? Vous voulez les effacer comment les inutiles ? Chacun leur tour et avec cérémonie. Bon d’accord. Il n’y a pas de bûcher, mais il y a une broyeuse, on l’a placée sous la scène, juste en-dessous du trou du souffleur. A un mètre de la rampe le trou du souffleur. Béant. On broie et puis basta.
On broie un écrivain, un thérapeute prend sa place, c’est simple. Rotation. Faut qu’ça tourne. A chaque époque son horizon. Epoque ! Et poc ! Et poc !
On passe à autre chose

La plus grande attaque nucléaire jamais imaginée et produite par l’homme est lancée contre le Personnage de Roman qui se met à ressembler instantanément à un œil noir gigantesque. F.A.M.

De l’oeil noir, gravitant rapidement au bord de l’oeil sombre presque central, le cadavre sanglant du Personnage de Roman, dans sa magnitude absolue, effondrement du coeur, dislocation, cherche encore ses pairs sur le chemin de la vie.
F.A.M.

« Le capitalisme va s’en occuper. » Mourir bio

On arrive chez le roi du déchet avec trois minutes de retard, après un exigeant protocole de sécurité pour franchir l’enceinte de son arc et accéder à sa villa high tech cachée sur les rives de la baie d’Hillion, « là où vivent en toute discrétion les plus grosses fortunes locales. »
Or comme ordure

Dans une époque de demande frénétique et de pénurie aggravée, le plus grand gisement de matière première sera le corps humain ; Tous ces précieux métaux accumulés dans nos corps feront la joie des industriels, les plus réclamés des cadavres seront les vieux citadins : avec les corps de trois parisiens morts t’auras au moins de quoi faire un iPhone. Mourir bio.

Un communiqué de presse de la fondation Conway annonce qu’elle a fait un don à une « Communauté du Colorado qui œuvre pour le développement durable et la préservation de la nature. Par ce premier versement, la Fondation Conway continue d’œuvrer avec détermination pour un progrès durable et une société ouverte et inclusive . »
Eden

« C’est-à-dire que je m’offre des possibilités ?! » F.A.M.

Tu étais perdue, le monde ne te ressemblait pas et certains jours tu aurais voulu en mourir. Eden

Le XXIème siècle exige une nouvelle culture ; une question de survie tout simplement. Cette culture a un nom qui fait battre nos coeurs : la médecine. Elle est entrée dans nos vies, énergique, souple, rapide. Le soin est notre nouvel horizon. L’art d’aujourd’hui s’auréole d’un concept lumineux : le care.
On passe à autre chose.

« Tu ralentis tout ce qui s’approche de toi, et tout le monde qui veut aller vite à l’ère post- industrielle s’éloigne de toi », a dit Cindy, ta collègue professeur en communication et relations publiques. « Relax, Elaine, il te manque juste la légèreté, apprends la légèreté, la cool attitude. » Eden

Qui je suis ?
L’horrible conséquence de l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation de l’hyper-moi flottant seul dans l’espace !
F.A.M.

Vingt heures. Les spectateurs entrent dans la salle. Sur la scène la metteure en scène, le directeur du théâtre et une vidéaste. Un écran occupe un tiers du cadre de scène, la partie haute. La vidéaste filme l’entrée des spectateurs comme auparavant elle a filmé leur arrivée et leur déambulation dans le hall. Les spectateurs prennent place dans les loges et dans les balcons. Ils se voient sur l’écran, ça leur fait plaisir. Ils se font à eux-mêmes des signes de la main. Coucou !
On passe à autre chose.

Celui qui se fie à ses propres yeux ne voit finalement que le bout de son pif. Infixés

Et si être ce qu’on n’est pas était la plus belle promesse de l’être humain ? Infixés

Alors ça a commencé comme il fallait je crois j’ai commencé à imaginer que j’étais un autre être que l’être que j’étais : un être doté d’autres aptitudes d’autres pouvoirs que les miens.
F.A.M.

La beauté de la série, c’est qu’il n’y a plus d’original, plus de pureté à retrouver, plus d’origine à préserver.
Infixés

Je suis amoureuse
Des couplages de coalitions les plus imparfaits les plus inédits !…
Mon amour navigue vers l’ambivalent !
L’impur !
F.A.M.

Mort de l’étranglement identitaire par multiplication des identités . Infixés

Je préfère des réseaux qui suggèrent des profusions d’espaces d’identités de perméabilités d’impuretés de porosités entre les frontière des cors personnels corps politique corps mécanico- technologico- vivants !
F.A.M.

« Un autre type de vie en commun . » Infixés

Il flotte sur Cloches Brunes l’esprit de quelques Humains qui ont voulu ramener le monde à un âge où les Hommes pouvaient l’habiter. L’espoir que leur futur puisse être autre chose qu’une terre atomisée, brûlée et stérile. Eden

Quand on leur demande comment sera leur vie plus tard, ils répondent qu’elle sera faite de la multiplicité des appropriations qui composent une existence. Infixés

L’accordéoniste m’aperçoit, me sourit de ses lèvres fardées. Elle m’attend, ils m’attendent. J’avance dans une lumière rouge, sous le flux et reflux de l’instrument au corps élastique. Ce n’est pas le vent qui souffle mais le son qui me happe, au-dessus de la baie menstruelle. J’avance dans la lumière rouge vers cette assemblée parallèle, sur les hauteurs de l’amphithéâtre marin où la vie fait sa toilette.
Je vais shooter. Je suis là pour ça. Ils me veulent pour ça, pour m’offrir le négatif que je cherche et qu’eux-mêmes ont trouvé. Or comme ordure

Je – n’a jamais autant ressenti saisi le besoin d’une unité politique qui fracasse fragmente permette d’agir contre un système fondé sur la race le genre la sexualité la classe sociale !
F.A.M.

La nuit, dans votre vallée au pied des deux cloches brunes, des myriades d’étoiles luisent au-dessus de votre rêve. Au-dessus des choux vivaces et de la livèche, des épinards et des poireaux, des navets et des haricots, des pommes de terre et des carottes à cœur rouge, qui poussent aussi la nuit à la lumière pâle de la lune. Aucun autre être humain que toi n’a connu la gloire du premier tubercule d’hélianthis sorti de terre une nuit de pleine lune. Vous êtes la vie réinventée. Tout recommence avec vous.
Eden

je ne rêve pas d’une communauté établie sur le modèle de la famille organique!
F.A.M.

Nous nous racontons la civilisation disparue pour que la mémoire ne disparaisse pas. Le secret est le fondement de notre groupe : c’est parce qu’ils sont curieux et insatisfaits de vivre dans l’oubli que les gens veulent devenir rudimenteurs, c’est parce qu’ils ne veulent pas se contenter des fibres ou des protéines quotidiennes qu’ils nos rejoignent. La relecture est un rite de passage réservé aux curieux et aux insatisfaits.
Rudimenteurs

Une pathologie règne sur cet univers !
Stress, speed échec !
Et en affecte tous les composants !

Les gens ! Oh!
Les gens !
Les gens !
Oh comme j’aime les gens !
F.A.M.

Elle extrait de son sac à dos de petits tubes métalliques. Dans chaque tube l’œuvre complète numérisée d’un des écrivains. Elle introduit dans les urnes les œuvres des écrivains. Où comptez- vous aller maintenant ? Puis elle prend chaque urne dans ses bras ; elle danse dans le théâtre avec l’urne, psalmodie les premières phrase d’une des œuvres de l’écrivain et dit : A bientôt. Les mots résonnent dans le théâtre.
On passe à autre chose.